En tournée avec son ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco, Cecilia Bartoli s’arrête à la Philharmonie de Paris pour y donner une représentation du dernier opéra seria de Mozart : La Clémence de Titus. Malgré l’absence de mise en scène, le jeu d’acteur des chanteurs et la scénographie minimale – mais non moins travaillée – ont permis à cet ouvrage d’être apprécié dans toute sa dimension musicale et dramatique.

Cecilia Bartoli et Les Musiciens du Prince-Monaco à la Philharmonie de Paris
© Ava du Parc

C’est à même la scène que Gianluca Capuano dirige, avec une douce fermeté, l’ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco dont il est le directeur musical depuis 2019 et qui prend possession de la partition avec vigueur et entrain. Les instruments d’époque sont allègres, aimables et n’entravent pas la ferveur musicale lorsqu’avec conviction le chœur Il Canto di Orfeo se joint à eux. L’orchestre réserve même deux fois la surprise de voir se lever Francesco Spendolini, d’abord à la clarinette ancienne pour accompagner Sextus dans la langoureuse aria « Parto, parto », puis au cor de basset pour joindre son chant à celui de Vitellia dans son « Non più di fiori ». Composée de Davide Pozzi au clavecin et d'un bouillonnant Robin Michael au violoncelle, la basse continue présente également des timbres agréables dans l’accompagnement des recitativo secco.

Une cravate bleue électrique et un costume argenté d’un goût incertain n’auront pas empêché Cecilia Bartoli de briller de mille feux dans la grande salle Pierre Boulez, tant l’accord trouvé avec son rôle est parfait. À l’origine destiné à un castrat, le rôle de Sextus est ici incarné par la mezzo-soprano dont les mérites vocaux ne sont plus à démontrer : une justesse irréprochable y compris dans les ornementations dont elle parsème sa partie, un timbre riche qui lui offre un superbe médium et du souffle dramatique, une agilité de jeune pousse exquise dans Mozart, bref… les superlatifs ne manquent pas pour qualifier sa performance vocale. Celle-ci ne doit pas éclipser sa tout aussi remarquable incarnation scénique : c’est sans versatilité qu’elle campe un Sextus presque viril, affirmé et droit mais sans affubler son rôle des excès de rectitude ou d’affliction que l’on retrouve parfois.

Le couple principal du premier acte est complété par Alexandra Marcellier qui, elle aussi, s’empare de son rôle de Vitellia avec assurance dans le très exposé premier acte. La chanteuse ne dévoile ses cartes qu’une par une, tient l’ensemble de l’opéra avec une énergie sans faille, et si les graves manquent de rondeur et de projection dans le deuxième acte, son soprano fait preuve quant à lui d’une infatigable aisance dans le reste de sa tessiture. En outre, le timbre encore jeune de Marcellier ne pâlit jamais devant la voix plus mûre de Bartoli mais au contraire entre avec elle en résonance, si bien que dès la première scène, les chanteuses font de leur duo un grand moment de bravoure.

C’est à Mélissa Petit qu’est dévolu le second rôle de soprano – celui de Servilia ­– et, malgré l’aisance de ses apparitions, ce n’est pas elle qui va concurrencer la première : d’abord, son rôle ne le veut pas, et ensuite son incarnation scénique trop effacée ne lui permet pas. Mais puisque l’on devine sa réserve de puissance, on aurait aimé un peu plus de conviction dans la quatorzième scène, lorsqu’elle implore Vitellia de sauver des fauves son frère Sextus.

Si Titus brille par sa clémence, le rôle n’aura en revanche pas épargné son interprète du soir, John Osborn. Vocalement, le timbre cuivré du ténor américain se transforme en fanfare de l’armée rouge tant sa projection sonore est excessive dans l’acoustique transparente de la Philharmonie, rendant ses récitatifs franchement âpres. En prime, le jeu et l'aisance vocale du chanteur sont entravés par sa façon de rester constamment les yeux rivés sur sa partition. Il saura cependant s’en défaire dans la reprise du finale donné en rappel. Le reste de la distribution est idéalement complété par Lea Desandre, qui se fait remarquer par l’élégance de sa diction autant que par un mezzo opalescent parfait dans le rôle troublé d’Annius et en accord avec le Publius de Peter Kálmán. Celui-ci, comique à souhait, aborde fièrement son rôle et fait entendre le délicieux picotement cuivré qui sied si bien au baryton-basse mozartien.

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