Au mois d’avril, le Ballet de l’Opéra de Paris reprend à Bastille l’un des ballets classiques les plus populaires de son répertoire, La Bayadère, dont les dernières représentations de l’hiver 2020 avaient été annulées et remplacées par une captation diffusée sur la plateforme « l’Opéra chez soi » pour cause de pandémie. Cette captation s’était achevée sur la nomination de l’étoile Paul Marque, récompensé pour sa variation de l’Idole dorée. Le jeune danseur revient sur scène dans le rôle de Solor, aux côtés des étoiles Sae Eun Park – qui interprète Nikiya (la Bayadère) – et de Valentine Colasante – en Gamzatti. Un trio virtuose, et soigneusement choisi pour soutenir les particularités de chacun des rôles.
La Bayadère, ballet imaginé par Marius Petipa sur la musique très occidentale de Ludwig Minkus en 1877, est une émanation emblématique du romantisme orientalisant du XIXe siècle. L’argument se développe autour de la figure fantasmée de la Bayadère, une danseuse sacrée hindoue éprise du guerrier Solor promis à Gamzatti, la fille du Rajah. Alors que la Bayadère danse de désespoir, elle est mordue par un serpent dissimulé dans un panier de fleurs et disparaît dans le Royaume des Ombres, où Solor lui rend visite en songe dans un acte en blanc romantique. En 1992, le chorégraphe Rudolf Noureev a recréé pour l’Opéra de Paris un ballet en trois actes, dans un somptueux décor d’arabesques et de motifs floraux et avec de féériques costumes de voiles fluides et ornementés.
Les trois rôles principaux du ballet de Noureev, qui avaient à l’origine été dansés par Laurent Hilaire, Isabelle Guérin et Elisabeth Platel, permettaient d’exposer le savoir-faire technique de l’Opéra de Paris. Il est donc intéressant d’y éprouver la nouvelle génération de danseurs de la compagnie. Paul Marque, à la technique de saut brillante, se glisse avec aisance dans le rôle aérien de Solor. Son entrée sur scène – avec deux grands jetés d'une souplesse féline – nous charme d’emblée, tout comme sa variation du deuxième acte comprenant un manège de grands sauts aussi célèbre que spectaculaire. Mais au-delà de la technique, on apprécie surtout chez Paul Marque un certain lyrisme dans le mouvement, que l’on retrouve dans la grâce de ses tours renversés au troisième acte, comme dans la retenue de chacune de ses réceptions.
Sae Eun Park est une Nikiya frappante sur le plan technique avec, elle aussi, une magnifique élévation – on retient notamment ses généreux grands sauts à la seconde aux réceptions tout en légèreté. Sa variation du panier, musicale et vivace, est aussi un très beau moment de danse. Plus à l’aise dans le désespoir que dans la colère, on pourrait seulement lui reprocher de camper une Nikiya un rien trop douce. Dans un registre plus terrestre, Valentine Colasante est une Gamzatti à la forte présence en scène, plus à l’aise dans les tours que dans les sauts. Et cela sert bien le rôle car dans La Bayadère, c’est à Gamzatti que revient l’inévitable série de fouettés, particulièrement corsée par la présence de tours fouettés en-dedans.
Les autres variations solistes sont plus oubliables, voire manquées pour certaines. Si le temps de pointes de Manou est interprété par Silvia Saint-Martin avec beaucoup de musicalité, on est moins séduit par Marc Moreau dans l’Idole dorée dont les réceptions maladroites altèrent malheureusement son port-de-tête romantique. Les variations solistes des Ombres, dansées par Héloïse Bourdon, Silvia Saint-Martin et Roxane Stojanov sont elles aussi inégales. Enfin, le corps de ballet reste nerveux dans l’ensemble, avec de nombreuses petites maladresses, comme les hésitations si visibles des Ombres lors de la fameuse descente de la rampe. L’accompagnement orchestral dirigé par Ernst van Tiel contient par ailleurs quelques pesanteurs, ce qui a probablement contribué à ces approximations sur scène. Ce soir de première semble encore en cours de réglage ; espérons que cette impression se dissipe au fil des représentations.