Fondée en 1989 par la danseuse Marcia Barcellos et par le compositeur et scénographe Karl Biscuit, la compagnie Système Castafiore présente au Théâtre de Chaillot sa nouvelle création Kantus 4-Xtinct Species – sous-titrée « Le Chant des Espèces Disparues ». La proposition intrigante de la pièce, celle de donner la voix à un vivant décimé, paraissait engagée de prime abord. Mais elle s’avère plutôt prétexte à un grand déballage de costumes carnavalesques, dans une composition surchargée, au carrefour entre danse, chants, vidéos et installations scéniques.
Convoquer un passé lointain et sensible, celui d’un monde vivant disparu, pour le fantasmer de façon poétique est le point de départ de Kantus 4-Xtinct Species. Cette « archéologie du futur », comme la qualifie Karl Biscuit, parle pourtant très indirectement du péril que connait aujourd’hui le vivant, et se positionne plutôt dans un effort de mise en image onirique. À l’ouverture du rideau, un ange noir avec un fagot de bois sec en guise d’ailes s’élève au-dessus de la scène, planant comme un mauvais présage. Cette vision inquiétante n’est pourtant pas le prélude à un propos politique, mais plutôt la première figure d’une mosaïque foisonnante de personnages qui surviennent sans grande cohérence d’ensemble.
Quatre chanteurs et cinq danseurs défilent en scène dans une succession de déguisements surréalistes. Kantus 4-Xtinct Species donne à voir tout un éventaire de hauts-de-forme et de casquettes aux formes futuristes, de vestes galonnées, de pantalons à poils, de bijoux en plastique, de perruques de couleur et de coiffes à cornes. Les danseurs incarnent une foule de créatures étranges qui évoquent de loin en loin des mammifères à cornes, une araignée géante, des virus noirs au tronc alvéolé et dotés de trompes, un géant poilu – sorte de yeti brun avec une tête de plâtre –, des sorcières aux cheveux longs, une femme colosse avec des lunettes de soleil façon Matrix, ou encore un lutin qui flotte dans un baudrier. Dans cette abondance incroyable, on voit pourtant très peu de danse. Tout ce bestiaire de monstres fantasmagoriques se contente de parader, traversant la scène dans des marches lentes, de longs développés de jambes et prenant la pose avec des airs de bestioles effarouchées.
À leurs côtés, un quatuor lyrique chante des compositions originales signées par Karl Biscuit, dont la touche à la fois mystique et grand public sonne un rien new age. Les paroles en toutes langues sont contemplatives, on entend à un moment un chant des planètes ou un chant des fleurs, qui énumère longuement tous les noms d’astres et de plantes. Trois écrans encadrent la scène et montrent des images de plaines désertiques, de constructions humaines dystopiques et des méandres abstraits. La pièce comprend aussi une sculpture : un totem étrange fait d’un bric-à-brac de râteaux de jardin et de lampes, et surmonté d’un masque traditionnel au visage courroucé. Ces installations scéniques difficiles à interpréter se surajoutent au trop-plein des sons et des personnages.
Mais au-delà de la surabondance, il manque à Kantus 4-Xtinct Species une organisation d’ensemble. Tout se jouxte sans se parler : les personnages se croisent sans créer de liens entre eux, la danse semble servir d’ornement plus qu’elle n’entre en relation avec les chanteurs ou ne se met au service d’une narration. Au début de la pièce, on assiste à l’unique dialogue entre deux personnages qui remuent leurs lèvres tout en dansant, comme pour mimer le chant qu’interprète le quatuor à leurs côtés. C’est malheureusement la seule tentative de mise en cohérence des différents éléments scéniques de ce chant des espèces qui a du mal à trouver sa portée.