Avec Jungle Book Reimagined présenté ce mois-ci au Théâtre du Châtelet, le chorégraphe Akram Khan propose une relecture moderne et écologique du célèbre recueil de nouvelles de Rudyard Kipling. Adressée aux enfants et aux adultes, cette création croise danse, théâtre, musique et animation audiovisuelle pour raconter les aventures haletantes de Mowgli, qui prend les traits d’une petite fille perdue dans la jungle urbaine, aux allures de Greta Thunberg. Si Akram Khan est l’un des rares chorégraphes à composer pour un public d’enfants (Chotto Desh en 2015) et l’un des tout aussi rares chorégraphes à porter les enjeux climatiques dans le champ de la danse, son Livre de la jungle manque pourtant de cette force poétique qui permet de parler aux petits comme aux grands.

Jungle Book Reimagined d'Akram Khan au Châtelet
© Ambra Vernuccio / Théâtre du Châtelet

Akram Khan sait raconter des histoires et mettre la danse au service de la narration. En 2016, Until the Lions mettait en scène avec éclat un épisode du Mahabharata, tandis que sa création Creature en 2019 pour l’English National Ballet constituait une œuvre de science-fiction en tant que telle. Jungle Book Reimagined poursuit aussi un fil épique. Le rideau s’ouvre sur une image inquiétante : des silhouettes noires à l’affût se détachent sur un fond vert alors qu’une radio diffuse des informations apocalyptiques. Une toile invisible placée entre la scène et le public permet de projeter un film d’animation, qui révèle des images de villes inondées, où l’on distingue Big Ben et la Tour Eiffel voguant à la dérive et de nombreux radeaux charriant des familles terrorisées. Une fillette tombe de l’un d’entre eux et s’enfonce dans la profondeur des eaux : c’est Mowgli. Le film s’interrompt pour dévoiler sur scène une meute de loups incarnés par des danseurs à quatre pattes, qui découvrent le corps recroquevillé de Mowgli et décident de l’adopter. Accompagnée de la panthère Bagheera et de l’ours Baloo, Mowgli part à la recherche de nourriture, denrée rare dans cette jungle urbaine désertée des humains. Les aventures s’enchaînent : elle est enlevée par des singes devenus fous à la suite d’expérimentations médicales, puis délivrée par Kaa, un python asthénique enfermé dans une cage de verre. Mowgli fait enfin l’expérience de la cruauté des hommes en rencontrant le dernier humain resté chasser dans la jungle et décide de retourner auprès des siens pour lutter contre leur sauvagerie.

Jungle Book Reimagined d'Akram Khan au Châtelet
© Ambra Vernuccio / Théâtre du Châtelet

La trame du spectacle est guidée par le film d’animation imaginé par l’artiste Naaman Azhari et le studio Yeastculture. Les voix des animaux, préenregistrées, sont diffusées et interprétées par les dix danseurs sur scène dans une chorégraphie un rien gesticulante qui sert de playback au film. La mise en scène, assez paresseuse, aurait pu davantage travailler le mouvement de certains animaux (quel dommage que Kaa soit interprété par une succession de boîtes en carton !) et ne pas se cantonner à un sous-texte du film.

Malgré l’importance et la justesse de son message de convivialité entre la nature et les hommes, Jungle Book Reimagined trouve difficilement son public. La morale du conte est délivrée par la mère de Mowgli dans un langage très enfantin et la narration est trop monotone pour un public adolescent ou adulte. Pourtant, le spectacle programmé à des horaires tardifs en semaine est réservé aux plus de dix ans. Et pour cause : il faut pouvoir lire les sous-titres français, comprendre les références politiques (le fameux « how dare you ? » de Greta Thunberg que prononce Mowgli ou la parodie de la Chambre des Communes britannique par les singes déments), supporter quelques scènes d’effroi (lorsque des coups de feu sont tirés sur des animaux) et surtout, l’angoisse existentielle que procure l’état du monde. Il manque donc à ce conte une forme d’élévation et de poésie qui aurait pu le porter à hauteur d’adultes.

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