Programmation repensée et gratuité pour tous : pour ses trois concerts de septembre, qui font office de rattrapage de l’édition 2020, initialement prévue en juillet, le Festival de Saint-Denis a choisi l’ouverture. Le mot d’ordre ? Un concert festif, destiné avant tout aux habitants de la ville. Pari réussi : dans l’impressionnant cadre de la basilique, les spectateurs ont fini le concert debout.
C’est la trompettiste Lucienne Renaudin-Vary et l’Orchestre national d’Île-de-France qui ouvrent cette soirée, en fanfare, avec une version technicolor de Fascinating Rhythm (Gershwin). Pour chacun des airs de Gershwin choisis ici, l’arrangement est fourni, l’orchestration foisonnante ; on regrette simplement qu’il ne mette pas davantage l’accent sur le swing présent à l’origine dans l’écriture du compositeur – Fascinating Rhythm manque tout simplement… de rythme. Si l’acoustique de la basilique ne favorise pas, de prime abord, une mise en place aisée, l’orchestre semble s’habituer rapidement aux légers effets d’écho et fait preuve d’un réel sens du rythme, mené par la direction très économe mais fonctionnelle du chef Troy Miller. Seule déception : l’abondance d’instruments finit invariablement par noyer le son doux et pur de la trompette, englouti dans la masse des cordes et des percussions.
L’orchestre entretient en effet, tout au long du concert, une ambiance hollywoodienne, qui fonctionne plus ou moins bien selon les morceaux. Des changements de tempo maîtrisés et un impeccable sens du rythme chez les cuivres font du medley d’airs issus de la comédie musicale Un Américain à Paris une enthousiasmante suite de danses – relevons au passage le petit solo sifflé de Lucienne Renaudin-Vary, vraiment impressionnant ! À l’opposé, les cordes très romantiques de l’ONDIF ne se marient guère avec l’incroyable détente de la trompettiste – définitivement basculée du côté du jazz – dans I Loves You Porgy, et lui interdisent toute véritable recherche de contrastes dans la suite d’extraits de West Side Story de Bernstein.
Lucienne Renaudin-Vary est donc plus impressionnante lorsque, livrée à elle-même, elle peut explorer des registres de nuances et de caractères variés : on est presque soulagé lorsque l’orchestre, magnifique mais opulent, se retire pour Mack the Knife (Weill) et S’Wonderful (Gershwin). Troy Miller, abandonnant sa baguette de chef pour se saisir de celles de batteur, esquisse un accompagnement minimaliste qui sous-tend les improvisations de la trompettiste, dont le sens du rythme sans faille, la recherche de contrastes et l’aisance dans les aigus forcent l’admiration.
La Lullaby for strings de Gershwin fait office de respiration dans ce programme spectaculaire. Les subtiles syncopes demeurent en place malgré la réverbération impressionnante du lieu, les solos de violon d’Alexis Cardenas sont d’une douceur délicieuse… Et le très délicat passage en harmoniques on ne peut plus rêveur.
Le réveil, avec le chanteur de soul Shaun Escoffery, sera dynamique : sa diction très nette insuffle du rythme à l’arrangement, là encore un peu trop sentimental, de Someone To Watch Over Me (Gershwin) qu’il interprète. Enthousiasmés, les musiciens de l’orchestre répliquent de plus belle dans But Not For Me, avec des cuivres plus rutilants que jamais… Et l’on peine alors à entendre le chanteur, dont la voix de tête force dans les aigus. Malgré une belle présence scénique et un véritable talent de narrateur (Foggy Day), Shaun Escoffery semble rester légèrement en retrait par rapport à l’orchestre. On regrette donc de ne pas avoir profité davantage de son timbre, pourtant riche et chaud dans les graves.
L’acoustique spectaculaire de la basilique et l’instrumentation flamboyante des airs choisis ont beau en rendre la compréhension difficile pour l’oreille du spectateur, le spectacle demeure impressionnant, et l’enthousiasme du public bien réel : éclairages colorés, spots stroboscopiques et discours galvanisants du chef d’orchestre… Impossible de rester indifférent à ce Festival de Saint-Denis 2.0 !