Le « Temps » passe aussi sur Il Trionfo del Tempo e del Disinganno, peut-être pas aussi triomphant que la morale de l’histoire le laisse entendre, soyons indulgent, mais sûrement, c’est incontestable. La « Désillusion » sans être cruelle n’en est pas moindre. Ce constat d’évidence n'était pas pour autant rédhibitoire, dimanche 4 décembre à l’Opéra de Clermont-Ferrand sous la battue très soignée de Sébastien d’Hérin à la tête de l’ensemble Les Nouveaux Caractères. Soyons réalistes, les circonstances de la création de cet oratorio ne sont pas étrangères à ses faiblesses : Haendel encore jeune devait se plier à l’oukase pontifical prohibant l’opéra sur le pré carré de la papauté.

Il Trionfo del Tempo e del Disinganno à l'Opéra de Clermont-Ferrand
© Yann Cabello

Il doit surtout composer avec ses propres limites, faute d’avoir encore acquis toute la science des ressorts dramatiques propre à l’oratorio profane ou sacré, en dépit d’arias miraculeux, entrés dans la légende. Il faudra attendre quelques belles dizaines de cantates italiennes avant qu’il n'atteigne ses ambitions et la pleine possession de ses moyens. En attendant, Il Trionfo del Tempo souffre d’un défaut de maîtrise des structures opératiques et d’absence d’action. Ce sentiment de langueur doit être pris de vitesse par un jeu de contrastes et une tonicité décomplexés des interprètes : les exemples de manquent pas, de Marc Minkowski à Emmanuelle Haïm en passant par Thibault Noally et l’ensemble Les Accents.

Et c’est bien cette volonté d’une reprise en main dynamique, sans faux-semblant, qui seule peut résoudre l’équation d’une œuvre au seuil du théâtre lyrique sans oser en franchir le pas. L’intrigue en forme de « disputation » philosophico-moralisatrice de ce pontifiant catéchisme ne se prête guère à la scène… Les allégories du Plaisir et de la Beauté ont beau faire assaut d’arguments pour repousser les mises en garde du Temps (et de ses outrages) et de son corolaire la Désillusion, rien n’y fait ! La chute n’en est pas davantage réjouissante même si l’honneur est sauf puisque la Beauté entre dans les ordres. CQFD : le livret est signé du cardinal Benedetto Pamphili.

Les Nouveaux Caractères à l'Opéra de Clermont-Ferrand
© Yann Cabello

Sébastien d’Hérin met lui aussi de l’ordre en restant dans les « clous » d’un prudent classicisme, là où d’aucuns y voient matière à prendre une salutaire émancipation, préférant l’esprit à la lettre. Il opte pour une conduite plus consensuelle, privilégiant la sagesse du trait et la fluidité des articulations à une alacrité plus en prise de risque mais assurément plus tonique. Il s’en faut de peu, d’un rien, pour que cordes et vents ne s’enhardissent et arrachent l’œuvre à sa gangue de formalisme, certes de bon aloi mais un rien languide.

Côté voix, on hésite moins à se payer d’audace à l’exemple de Caroline Mutel, électrisante Belleza aux suraigus dopés à l’EPO dans le virtuosissime « Un pensiero nemico di pace ». La soprano semble mesurer les limites formelles de cette agilité pyrotechnique pour lui privilégier une tension plus ouvertement dramatique. Mais c’est dans « Tu del Ciel ministro eletto » qu’elle investit son personnage d’une douleur et d’une couleur presque extatiques. S’agissant de l’engagement, elle se fait complice de l’intensité teintée d’héroïsme du Tempo de Mathias Vidal. « È ben folle quel nocchier » ? Si Haendel en rêvait comme un morceau de bravoure, le ténor s’y engage avec force et conviction. Mais pas seulement : le timbre reste souple et la diction fluide jusque dans les récitatifs.

Karine Deshayes à l'Opéra de Clermont-Ferrand
© Yann Cabello

Belle surprise encore avec le Disinganno magnifiquement vécu de Clint van der Linde. La longueur du registre et sa plénitude, doublées d’une indéniable présence comédienne confèrent au contre-ténor prestance et autorité, deux vertus cardinales qui sont loin d’être une évidence dans ce rôle. L’émission rayonnante de nuances du « Crede l’uom ch’egli riposi » reste un des sommets d’émotion de cette production au demeurant pleine d’heureuses surprises. Rude concurrence pourtant avec l’inégalé « Lascia la spina » ciselé par Karine Deshayes. Là encore, l’engagement et la force de conviction prennent le meilleur sur une lecture qui aurait pu être plus attendue pour se révéler finalement mille fois moins impliquée. Le bon Plaisir d’une mezzo qui ne se refuse rien ? Un « Come nembo che fugge col vento » à damner le librettiste…

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