Deux ans après le décès de Patrick Dupond, l’Opéra de Paris rendait hommage, lors d’une somptueuse soirée de gala, à celui qui fut danseur étoile mais aussi directeur de son Ballet de 1990 à 1995. Figure aussi incontournable que subversive du sérail, Patrick Dupond a façonné certains rôles du répertoire et inspiré des générations de danseurs. Après la diffusion d’un film-hommage et le défilé du Ballet, trois œuvres emblématiques du parcours artistique de Patrick Dupond étaient réinterprétées par les danseurs actuels de la compagnie dans une ambiance aussi émouvante que virtuose au Palais Garnier. Mettant largement à l’honneur les jeunes danseurs, cette soirée fut l’occasion de s’enthousiasmer pour les jeunes talents de la compagnie tels que les danseurs Germain Louvet, Hugo Marchand, Paul Marque, Valentine Colasante mais aussi les tout jeunes Guillaume Diop et Inès McIntosh.

Le Ballet de l'Opéra de Paris, avec toutes ses étoiles
© Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Le programme démarre avec Vaslaw, un rôle doublement emblématique pour Patrick Dupond : créé pour lui par John Neumeier, ce fut aussi la chorégraphie sur laquelle il fut nommé danseur étoile en 1980, à l’âge précoce de 21 ans. Rêverie intime accompagnée par un piano sur scène, la pièce projette le monologue intérieur du chorégraphe russe Vaslav Nijinski, incarné sur scène pratiquant des exercices de force et de souplesse, mais aussi habité par une recherche chorégraphique prolifique. Des couples de danseurs peuplent ses songes éveillés, tandis qu’il mime les poses caractéristiques de ses créations (les pieds en-dedans du Sacre du printemps, le visage de clown triste de Petrouchka, les mains suggestives du Faune…). Marc Moreau, qui interprète tant Nijinski que Dupond interprétant Nijinski, offre une danse pleine de grâce. À ses côtés, les pas-de-deux de Roxane Stojanov et Florent Melac ou de Laura Hecquet et Arthus Raveau restent un peu lisses.

Vaslaw, lors de l'hommage à Patrick Dupond
© Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

Sur la musique pénétrante de Gustav Mahler – superbement chantée par Sean Michael Plumb –, la chorégraphie de Maurice Béjart du Chant du compagnon errant marque un deuxième jalon dans le parcours de Patrick Dupond. Duo d’hommes qu’il interpréta avec Rudolf Noureev en 1990, année du passage de flambeau entre les deux danseurs à la tête du Ballet de l’Opéra, mais aussi avec son ami d’enfance Jean-Marie Didière, la pièce raconte le compagnonnage romantique entre deux hommes que la mort appelle. Avec une présence incroyable, Germain Louvet et Hugo Marchand, duo charismatique de danseurs étoiles de vingt-neuf ans ayant eux aussi fait leurs classes ensemble, redonnent corps à ce dialogue solennel. Germain Louvet, qui interprète la facette romantique du couple, propose une danse souple et lyrique dans un corps sensible. Plus fauve, avec des sauts à la fois amples et retenus, Hugo Marchand incarne un contrepoint plus dominant. On reste suspendus à leur échange intense, à la fois grave et délicat.

Le Chant du compagnon errant, par Hugo Marchand et Germain Louvet
© Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

On termine sur une ambiance plus festive avec la reprise d’un classique des galas de l’Opéra de Paris : Études de Harald Lander, que Patrick Dupond interpréta pour la première fois en 1980. Œuvre étendard, Études est la transposition d’un cours de danse classique en un ballet grandiose. On passe des exercices d’échauffement de la barre à la technique plus robuste du milieu. Elles aussi transposées, les Études pour piano de Carl Czerny (tubes de toutes les salles de danse) sont réarrangées dans une version orchestrale en grande pompe. Le ballet se construit comme un crescendo exaltant, qui débute à la barre dans une semi-pénombre dont on ne discerne que des paires de jambes en plein exercice, pour terminer par un finale fortissimo dansé à l’unisson. Un brillant trio de solistes mène la danse : Valentine Colasante, brillante technicienne, qui propose des variations de pointes impeccables et une belle vitesse de tours, Paul Marque, dont l’élégante virtuosité éclate véritablement dans ce type d’exercices de style, ainsi que Guillaume Diop, plein d’énergie dans les sauts, et dont les petites maladresses sont éclipsées par sa présence charismatique. Études met aussi un coup de projecteur heureux sur le corps de ballet féminin, qui compte plusieurs danseuses particulièrement prometteuses, parmi lesquelles Inès McIntosh, à la technique de pointes stupéfiante.

Guillaume Diop dans Études
© Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris
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