Incontournable de la saison musicale bruxelloise et ayant adopté pour cette édition la devise « become music », le Klarafestival offre durant toute la deuxième quinzaine du mois de mars une série de concerts remarquablement variée permettant d’entendre de grandes formations symphoniques, de la musique de chambre, de la musique ancienne et contemporaine ainsi que du jazz. Pour son concert d’ouverture dans la grande salle Henry Le Bœuf du Palais des Beaux-Arts, la manifestation accueillait ce vendredi 10 des visiteurs prestigieux, le London Symphony Orchestra et Barbara Hannigan.
Esprit curieux, la chanteuse et cheffe d'orchestre avait opté pour un programme intéressant et contrasté qui faisait précéder la Quatrième Symphonie de Gustav Mahler par L’ Ascension d'Olivier Messiaen. Dès les premières mesures de l’œuvre de Messiaen, on est frappé par le fait que la gestuelle gracile, joliment galbée et généralement bien lisible de Hannigan (qui se passe de baguette) vise davantage à diriger la musique que l’orchestre, à sculpter la ligne plutôt que d’indiquer les entrées, ce qui se paye dans un premier temps par de sérieux et répétés décalages dans les départs des phrases au début de ce choral pour vents qu’est le premier mouvement (« Majesté du Christ demandant sa gloire à son Père »).
Mais les choses finissent par s’arranger et il ne fait pas de doute que la cheffe a la mesure de cette musique. Cor anglais et clarinettes font entendre de très belles choses dans le deuxième mouvement et Hannigan réussit à très bien évoquer l’atmosphère de joie du troisième mouvement, avec de remarquables contributions des cors. Dans la dernière de ces quatre méditations symphoniques (« Prière du Christ montant vers son père », pour cordes seules), elle opte pour une approche assez mesurée et une sobriété qui lui permet d’éviter le piège du sentimentalisme qui guette dans cette musique.
On attendait avec intérêt de voir comment la soprano-cheffe allait traiter la plus lyrique des symphonies de Mahler avec cet orchestre justement réputé pour sa phénoménale ductilité et sa faculté à s’adapter à n’importe quel répertoire et direction. Dès le début de l’Allegro introductif, on remarque la transparence et la lisibilité que confère Hannigan à la musique, mais aussi le côté anguleux et le manque de chaleur de son interprétation. Il y a quelque chose de raboté et d’univoque dans l’expression qui étonne.
Comme le demande le compositeur, le deuxième mouvement est joué Ohne Hast : sans hâte, mais aussi sans magie. On apprécie la franchise de la cheffe dans un Adagio où elle évite tout mauvais goût ou pâmoison bon marché, mais elle ne fait hélas rien de l’ambiguïté émotionnelle de la musique dans une interprétation sincère mais peu intéressante. Comme on pouvait s’y attendre avec un ensemble de ce calibre, les notes sont bien sûr très correctement jouées, mais une étrange neutralité expressive empêche la musique de décoller.
Barbara Hannigan devait à l’origine prendre également à son compte la partie de soprano du finale, mais elle cède finalement sa place à l’une de ses protégées, Aphrodite Patoulidou, que cheffe et orchestre accompagnent avec soin et délicatesse. Voix pure, excellente diction, justesse impeccable, vibrato réduit et magnifiquement dosé, la soprano grecque chante magnifiquement sa partie et opte avec raison pour un parti pris de simplicité bienvenue, sans chercher à ramener l’auditeur à tout prix vers les verts paradis de l’enfance.