Quatre ans après sa première mondiale, la création du chorégraphe Hofesh Shechter Grand Finale est de retour à la Grande Halle de La Villette, dans le cadre de la saison hors les murs du Théâtre de la Ville. Les visages de la compagnie d’Hofesh Shechter ont été largement renouvelés depuis 2017 et une nouvelle génération d’interprètes – remarquablement brillante – s’empare de cette création explosive et terriblement exigeante sur le plan physique. Grand Finale est un spectacle-performance littéralement exaltant, certainement le plus abouti d’Hofesh Shechter, qui montre les corps dans un état de violence et d’épuisement, vibrant au son d’une bande-son techno intense, dans des compositions de groupe sublimement chorégraphiées où les ensembles se délitent et se reforment sans cesse.

Grand Finale d'Hofesh Shechter
© Rahi Rezvani

Sur une scène plongée dans une pénombre enfumée, un panneau noir se détache – frontière dressée face au néant ou gigantesque pierre tombale. Une petite humanité aux corps flottants jaillit de l’obscurité, tandis qu’un quintette articule en arrière-scène quelques accords nébuleux. La pulsation douce d’une bande-son électro, à peine discernable au début, rythme cette progression sur scène. Tout d’abord avec lenteur, les dix danseurs forment un tout tumultueux, semblant mu par une même énergie, tendu vers un même but. Avec une alternance de mouvements libres, d’unissons frénétiques et de ruptures où le groupe se disloque, les corps désincarnés paraissent traversés par une énergie commune. La bande-son monte à mesure en intensité, anime les danseurs de soubresauts, de spasmes, de gestes répétés inlassablement, et les entraîne dans un crescendo chorégraphique où les corps sont portés jusqu’à un état de transe et d’épuisement. Extatiques, ils tendent alors les bras au ciel, secoués par cette pulsation inaltérable, ouvrent une immense bouche muette, tombent et se brisent. La violence sourd dans le rythme grondant de la techno, mais habite aussi les silences lorsque les corps s’abandonnent et gisent au sol. Dans ce monde sous pression, cette forme d’individu asexué progresse à marche forcée, comme contrainte par un rythme extérieur et implacable.

Grand Finale d'Hofesh Shechter
© Rahi Rezvani

Davantage que dans ses précédentes compositions, Hofesh Shechter ajoute une dimension tribale à la danse. La pénombre et la fumée, qui étourdissent les sens, mais aussi les grands panneaux noirs, qui se déplacent seuls comme des esprits magiques et devant lesquels les danseurs s’agenouillent et se recueillent, créent une ambiance mystique. La musique traditionnelle balkanique jouée par les musiciens au second acte ancre également la pièce dans un temps ancestral. Plus encore, les cris animaux poussés par les danseurs et leurs élans transis évoquent l’accomplissement d’un rituel primitif, aboutissement de cette épopée régressive.

Ces mouvements de groupe exaltants, où chacun danse, crie et s’use dans des séquences en crescendo qui poussent l’effort jusqu’à l’extrême, nécessitent une capacité physique qui justifie probablement le vaste renouvellement de la troupe d’Hofesh Shechter. Les jeunes danseurs Robinson Cassarino, Mickaël Frappat, Natalia Gabrielczyk, Adam Khazhmuradov et Juliette Valerio ont récemment rejoint la compagnie et font des prises de rôles sans fautes dans un groupe à l’unisson.

Grand Finale d'Hofesh Shechter
© Rahi Rezvani

Aussi minimale que travaillée, la scénographie signée par Tom Visser et Tom Scutt fait aussi de Grand Finale l’une des pièces les plus intéressantes du répertoire d’Hofesh Shechter. Les effets de lumière jouent avec la chorégraphie : le groupe se disperse ou se resserre pendant une fraction de seconde plongée dans le noir, créant des effets d’optiques qui hypnotisent. En faisant simplement varier le débit et la source de la lumière, on passe d’une atmosphère froide à une ambiance plus sauvage, ou encore à un étrange et doucereux univers enfantin : des bulles tombent alors du plafonnier sous les rires des danseurs. La mise en scène apporte une touche de poésie unique à la radicalité du mouvement d’Hofesh Shechter : ambivalence magnifiquement interprétée par Chien-Ming Chang et Rachel Fallon, dans leur duo suspendu entre sensibilité et brutalité. 

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