Afin de commencer l’année sous les meilleurs augures, l’Opéra Nice Côte d’Azur a choisi de mettre en lumière la liberté et la fraternité prônées par Fidelio, unique opéra de Ludwig van Beethoven. L’argument se déroule dans une prison non loin de Séville, théâtre de l’enfermement abusif de Florestan. Fort heureusement, sa courageuse épouse Léonore ira jusqu’à se travestir pour faire libérer son mari.
Face à une salle comble, force est de constater que les mises en scène contemporaines attisent la curiosité des spectateurs niçois. Ces derniers se retrouvent rapidement plongés dans un univers carcéral où règnent violences policières et surveillance renforcée, le tout retransmis sur des écrans géants placés à l’avant-scène. Car la mise en scène pensée par Cyril Teste et le collectif MxM a pour caractéristique de mêler les nouvelles technologies à l’opéra traditionnel : véritable performance filmique, le spectacle s’appuie sur un dispositif cinématographique qui traite l’image en temps réel, sous les yeux de l’auditoire.
Dans la fosse, l’Orchestre Philharmonique de Nice dirigé par Marko Letonja se révèle particulièrement vif, exprimant un entrain général pour l’exécution de l’ouvrage. Le geste du chef restera toujours net, calme et concentré sur la communication des nuances et des caractères revêtus par les différentes scènes.
Les écrans amovibles laissent place à une cour de prison dans les tons grisâtres, éclairée par des tubes néon. Entre alors en scène Valentin Thill (Jaquino) au timbre rond et à la diction naturelle, auquel se mêle le vibrato chaleureux de Jeanne Gérard (Marzeline). On savoure la fusion des voix du duo, fluides et donnant l’impression d’une apparente simplicité. Apparaît ensuite Angélique Boudeville, dans le rôle de Leonore, qui ne cesse de s’affirmer au fil des épisodes chantés. Elle conduit aussi bien les crescendos de passage que la caméra, dont elle s’empare au milieu du second acte. Un cadreur est d’ailleurs omniprésent sur scène et incite les chanteurs à jouer avec la caméra, leur image étant immédiatement reflétée sur les écrans présents. En Don Pizarro, Thomas Gazheli associe théâtralité et clarté de l'élocution. Soucieux de l’harmonie générale, son regard est constamment porté vers le chef d’orchestre. À ses côtés, Albert Dohmen file un parfait Rocco, fin, aiguisé et percussif.
Véritable point de vigilance de l’œuvre, le texte et l’écriture beethovénienne demandent une attention rythmique notable. Et c’est peut-être là que la prestation semble légèrement pécher : les passages homorythmiques entre le chœur et l’orchestre sont parfois un peu décalés, tout comme les consonnes finales manquent de précision, laissant dériver l’ensemble davantage vers le protéiforme que vers l’unité de groupe. Ces observations sont cependant largement compensées par l’intensité dramatique fournie par Angélique Boudeville lorsqu’elle met littéralement en joue l’audience puis dépose les armes, entonnant un chant sensible et émouvant. Sous les bruitages de plateaux et de casiers, l’attendu Gregory Kunde (Florestan) s’annonce avec un timbre puissant. On admire son aisance, tout comme l’intelligibilité qui ressort de sa diction.
Conjuguant liberté, couleurs chaudes et climat tout en joie, l’heureux finale contraste avec l’atmosphère cafardeuse des péripéties de l’argument. Disposés autour du public, femmes et enfants chantent l’affranchissement, dans un dialogue spatialisé avec les prisonniers restés sur scène. On célèbre alors le triomphe de la libération, l’humanité ayant remplacé les écrans de fumée.