Family machine est un spectacle mis en scène, chorégraphié et adapté par Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth d’après l’œuvre de Gertrude Stein : Américains d’Amérique. Les deux chorégraphes partagent la scène avec cinq autres interprètes et s’interrogent par le texte et la danse sur le sens de la famille et du voyage, aussi bien géographique que temporel et spirituel, en évoquant la mort.

Family machine au Théâtre National de Chaillot
© Christophe Raynaud de Lage

Une ambiance très mystérieuse émane du plateau très épuré, recouvert de gravillons, qui reste dans la pénombre du Théâtre de Chaillot pendant tout le spectacle, sans décor, excepté de fins rideaux qui viennent parfois agrémenter quelques scènes. Le refrain du spectacle est une marche cadencée et groupée des sept danseurs qui, accrochés les uns aux autres comme des wagons humains, circulent sur le plateau lentement sur une musique enregistrée répétitive. Le minimalisme de cette danse décontenance au premier abord mais permet tout à fait d’exprimer l’errance et les divers chemins de la vie. Le groupe s'arrête quelquefois pour prendre des poses en s'observant ou scrutant le public.

Family machine au Théâtre National de Chaillot
© Christophe Raynaud de Lage

La répétition des mots et des mouvements est le principe dramaturgique clé de la représentation qui fonctionne comme un cycle et explore ainsi la circularité des générations et de la vie en général. Les acteurs évoquent eux-mêmes des personnages différents : petit-fils, père, grand-père ; et Gertrude Stein est elle-même interprétée avec beaucoup de talent par Brigitte Seth. C’est elle qui ouvre le spectacle et le rythme par des monologues poétiques et humoristiques sur le temps, l’Amérique, les générations, la place dans la famille.

Que ce soit par les tenues colorées des années 30 ou par la lenteur des gestes et la fixité du regard des interprètes, le spectacle nous évoque une vieille photo de famille qui prendrait vie au ralenti. La dimension picturale de la représentation est ainsi très marquante : on reconnaît d’ailleurs le tableau de Matisse, La Danse, dans le trio tourbillonnant formé par Théo le Bruman, Jim Couturier et Louise Hakim. L’influence du cubisme est ici très prégnante et répond tout à fait aux textes choisis de Gertrude Stein.

Family machine au Théâtre National de Chaillot
© Christophe Raynaud de Lage

L’œuvre est ainsi très bien construite et bien pensée. En terme de chorégraphie, les moments dansés semblent plus s’apparenter à des clins d’œil artistiques qu’à de la création de mouvement, et c’est là où le spectacle peut manquer de force – bien que ce parti pris soit cohérent avec le choix de mettre la parole et le théâtre sur le devant de la scène. Vêtus de manteau et chapeau, les interprètes exécutent par exemple sur une musique entraînante des pas de jazz qui rappellent notamment Chantons sous la pluie. Les metteures en scène ont donc choisi d’évoquer pleinement leurs influences artistiques plutôt que de créer du mouvement. La créativité du spectacle repose davantage sur la forme pluridisciplinaire et la structure cyclique qui se poursuit jusqu’après les applaudissements : les interprètes reprennent alors les mêmes fragments déjà récités plus tôt dans le spectacle. Family machine est bel et bien un spectacle réussi par son atmosphère et la qualité de jeu des sept interprètes à la fois nette et singulière à chacun, plus que par la chorégraphie plutôt en retrait dans la pièce.

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