« Après avoir massacré tant de héros et héroïnes, j’ai finalement le droit de rire un peu », telles sont les paroles de Giuseppe Verdi adressées à son librettiste Boito au sujet de Falstaff. C’est donc dans l’humour et la légèreté que se profile l’exécution de l’œuvre à l'Opéra de Nice sous la baguette de Daniele Callegari. Mais quand le personnage principal prend l’allure d’un biker établi au cœur d’une banlieue abandonnée, le spectacle prend tout à coup des airs anarchiques. Récit d’une performance mêlant sublimation de la mélodie et expression de la vie des cités.
Loin des dorures et costumes d’époque, la mise en scène de Daniel Benoin adopte un décor de squat où fleurissent les tags réalisés au briquet par le street-artiste niçois OTOM. L’image de Falstaff sera celle d’un homme obèse et malade luttant contre la mort. Guère au bout de ses peines, le protagoniste se verra maintes fois trompé par des bourgeois en quête de divertissement. Malgré tout, bien heureux est le dénouement célébré autour d’un fabuleux banquet. La pièce s’ouvre sur un dialogue d’hommes vif et articulé : Thomas Morris dans le rôle du docteur Caïus arbore des médiums et aigus brillants, tandis que le rôle-titre interprété par Roberto de Candia se caractérise par une déclamation naturelle, sans fioriture. Doté d’une remarquable aisance scénique, ce dernier occupe l’espace qu’il orne de pas de danse et de gestes obscènes. Ses lancements de phrase particulièrement puissants insufflent une dynamique certaine à l’ensemble. Le Ford de Vladimir Stoyanov, d’attitude sereine et imperturbable, se distingue par une diction syllabique claire magnifiée par un timbre léger.
Les ensembles qu’affectionne le metteur en scène ne sont pas en reste : on apprécie les mouvements de foule lors du déversement du panier à linge dans la Tamise (acte II) ou, au cœur du finale, lors des interjections de la cohue au bâton levé (« Tutti gabbati »). L’Orchestre Philharmonique de Nice est quant à lui d’égale intensité avec les voix, si bien qu’il semble s’associer au dialogue et ainsi faire progresser l’action.
Tout en contraste, un second décor représentant une villa avec piscine et hammam figure le repère des personnages féminins de l’ouvrage. Y abondent nombre de clichés, des commérages autour des chaises longues à la venue de l’amant professeur de tennis (Fenton). Les changements de décor chronophages s’accompagnent d’une vidéo peignant les allers-retours entre le squat et la demeure des Ford – ces coupures conséquentes s’avèrent légèrement gêner la fluidité de l’exécution.
Véritable force de la représentation, les rôles féminins ont de quoi fasciner l’audience. L'Alice d'Alexandra Marcellier donne à entendre un souffle puissant et une admirable conduite des phrases – peut-être le fruit d'une technique de travail issue de son passé de violoniste, consistant à poser des coups d’archet sur les lignes vocales de la partition. Kamelia Kader (Mrs Quickly) fait preuve d’une grâce intense que l’on perçoit aussi bien dans ses gestes que dans son parler théâtral. Rocío Pérez (Nannetta) démontre une agile gestion des nuances. Ses aigus sont assurés, lumineux et livrent une impression de simplicité. Une belle performance dont l’audience ne se révélera pas « toute dupée », comme le chantent les acteurs dans le finale, mais bien toute impressionnée !