Le Ballet de l’Opéra de Paris fait sa rentrée sur le fil, avec trois programmes de variations à l’affiche : « Etoiles de l’Opéra », « Rudolf Noureev » et « Chorégraphes contemporains ». Contexte oblige, l’Opéra de Paris a dû composer à la fois avec l’incertitude de la crise sanitaire en proposant des formes courtes (solos et pas de deux) et avec les travaux en cours à Garnier en aménageant une avant-scène éphémère au-dessus de la fosse d’orchestre. Malgré quelques temps forts, en particulier la reprise brillante d’Herman Schmerman, cette première soirée laisse un avant-goût mitigé, entre une danse inégale et un manque de cohérence artistique de l’ensemble proposé. On se serait attendu à ce que ces trois programmes illustrent les trois registres dansés à l’Opéra de Paris : classique (avec « Rudolf Noureev »), contemporain (avec « Chorégraphes contemporains ») et néoclassique (avec le programme « Etoiles de l’Opéra »). Malheureusement, ce dernier mélange les genres, n’a pas de fil conducteur évident et ressemble davantage à une suite de variations opportunément choisies. La soirée reste cependant un temps émouvant de retrouvailles entre un public et une compagnie, et un beau moment musical grâce aux pianistes Elena Bonnay et Ryoko Hisayama et à la violoncelliste Ophélie Gaillard.

Hugo Marchand et Ludmila Pagliero dans Trois Gnossiennes
© Svetlana Loboff / Opéra national de Paris

C’est le doyen des Etoiles masculines, Mathieu Ganio, qui ouvre le bal avec Clair de lune, un court solo créé en 2017 par Alastair Marriott. Peu original, ce solo est néanmoins un tableau intimiste, en clair-obscur, où le regard tourné vers le ciel et l’arrondi gracieux des ports-de-bras traduit une présence abstraite de lune. La reprise du pas de deux néoclassique Trois Gnossiennes de Hans van Manen, sur une musique de Satie, marque vraiment le retour des étoiles en scène. Avec aplomb, et une danse bien appuyée, le couple Ludmila Pagliero et Hugo Marchand s’impose dans une chorégraphie virtuose et ardente.

Variation néoclassique créée par Jerome Robbins et Mikhaïl Baryshnikov en 1994 sur les Suites pour violoncelle seul de Bach, A Suite of Dances est un dialogue plein d’esprit entre un danseur solo et une violoncelliste. Hugo Marchand en fait une belle démonstration technique et rythmique, malheureusement un peu entravée par la taille réduite de la scène. Seul bémol, l’expression un peu trop rigide du danseur manque de cette malice qui fait l’essence de l’œuvre.

Quant à Sae Eun Park, vestale intemporelle dans la Lamentation de Martha Graham créée en 1930, elle délivre avec justesse une chorégraphie intéressante par son abstraction et son graphisme, se débattant dans les replis d’une grande tunique couleur lavande, la tête voilée et le regard implorant. Ce solo trouve cependant difficilement un ancrage dans un programme classique et néoclassique, au contraire de La Mort du Cygne, variation mythique d’Anna Pavlova rarement dansée à Garnier… Admirable dans d’autres registres, Ludmila Pagliero ne parvient pas toutefois à donner un envol à son cygne, avec des bras graciles par trop cassants.

Quelques instants auparavant, la reprise de Herman Schmerman, créée en 1992 par William Forsythe et portée de façon éblouissante par Hannah O’Neill et Vincent Chaillet, a constitué le véritable clou du spectacle. Les deux danseurs pétillent en scène dans une danse vivace, musicale, déliée et terriblement précise, qui met en scène deux marionnettes caustiques, affublées de jupettes jaune fluo, aux déhanchements chaloupés. Une véritable jubilation pour les danseurs, comme pour le public !

Hannah O'Neill et Vincent Chaillet dans Herman Schmerman
© Svetlana Loboff / Opéra national de Paris

Le finale classique clôture en revanche la soirée sur une fausse note, avec un pas de deux extrait de La Dame aux Camélias. Déraciné, coupé de l’argument de la pièce, ce passage de danse narratif paraît hors de propos, tandis que les costumes romantiques, magnifiques dans le ballet, semblent ici un peu naïfs. Mal-à-l’aise peut-être, Laura Hecquet et Mathieu Ganio dans les rôles de Marguerite et Armand accumulent les erreurs, avec des portés maladroits et des hésitations visibles.

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