C’est avec le rythme et les couleurs de Don Quichotte que le Ballet de l’Opéra de Paris célèbre les fêtes de fin d’année et le quarantième anniversaire du ballet de Rudolf Noureev. La chorégraphie s’inspire de la version originale de Marius Petipa de 1869, sur la musique entraînante de Ludwig Minkus, pour en donner une version joyeuse et festive. L’histoire, légère comme une feuille, brode sur les amours espiègles entre Kitri la fille de l’aubergiste et Basilio le barbier, et ne tient lieu que d’arrière-plan à une succession de variations de répertoire. Véritable succès superbement porté par le duo Valentine Colasante et Paul Marque, la première de Don Quichotte a été un moment de danse très enthousiasmant.
Étoile depuis tout juste un an, le jeune Paul Marque fait partie de cette nouvelle génération masculine particulièrement talentueuse du Ballet de l’Opéra de Paris. Malgré une technique éblouissante, tant par sa grâce que par sa virtuosité, le danseur a parfois montré des traces de trac un rien débilitantes lors de ses grandes prises de rôle. La variation d’entrée de Don Quichotte et son grandiose manège de grands sauts exorcise tout de suite les craintes : avec une élévation prodigieuse et des réceptions impeccables, Paul Marque crée une petite hystérie dans le public. Parfaitement lancé par ce premier triomphe, le danseur réalise ensuite un sans-faute. Tout est là pour séduire : des variations parfaitement nettes, des prises de risque audacieuses qui donnent un spectacle époustouflant (on reste ébahie par ses pirouettes à huit tours aux réceptions tout en retenue), mais aussi un jeu de scène cabotin très amusant.
À ses côtés, Valentine Colasante, qui avait elle-même été nommée étoile sur ce ballet dont elle a fait sa spécialité, nage comme un poisson dans l’eau. Douée pour les tours et les équilibres suspendus, la danseuse prend un plaisir visible dans cette démonstration technique et n’hésite pas non plus à se mettre à risque sur les équilibres et dans la coda de tours fouettés.
Dans les rôles des amies de Kitri, Eléonore Guérineau et Marine Ganio montrent aussi une danse joliment équilibrée. Les deux danseuses à l’expérience et à la technique éprouvée offrent des pas-de-deux harmonieux et musicaux. On reste particulièrement subjuguée par la belle technique de saut d’Eléonore Guérineau.
S’il est des variations ingrates, celle de la danseuse de rue interprétée par Hannah O’Neill en est une : ce personnage de second plan est en charge de la plus difficile variation de femme de Don Quichotte ! La variation comprend de périlleuses séries de tours développés en arabesque et de tours renversés, sur lesquels Hannah O’Neill a malheureusement buté. On sait la danseuse capable de s’attaquer à ces difficultés, mais le stress a semblé l’emporter lors de la première. À ses côtés, Audric Bezard campe un genre de toréador possessif, dont la variation un peu balbutiante n’était pas non plus à la hauteur de ses compagnons de scène.
Jouant avec les mises en abyme et les transpositions, Don Quichotte comprend un acte en blanc peuplé de dryades, dont le songe de Don Quichotte sert de prétexte. Dans le rôle exigeant de la Reine des Dryades, Héloïse Bourdon réalise un adage élégant, malgré une ou deux petites maladresses. En Cupidon, Silvia Saint-Martin fait une prise de rôle très académique mais un peu moins habitée.
On notera aussi dans cette soirée les très remarquables premiers pas d’Inès Mcintosh, dans le pas-de-trois de l’acte en blanc, et de Bleuenn Battistoni, dans la variation de la première demoiselle d’honneur. Ces deux jeunes danseuses issues du corps de ballet sont de merveilleuses découvertes et de très beaux espoirs dans la troupe.
Il faut donc reconnaître à la direction de l’Opéra un vrai sens de la distribution pour cette première : des solistes virtuoses taillés pour leurs rôles, quelques petits rôles offerts à de jeunes talents soigneusement choisis, et un corps de ballet dans la précision. L’orchestre dirigé par Valery Ovsyanikov aura même été obligé d’appesantir les cadences pour s’adapter aux temps d’envol et de suspension des danseurs, ce qui aura pu frustrer les mélomanes de la salle mais pas les amateurs de danse !