Un programme intitulé « Dolce Vita », des instrumentistes vêtus de noir et rouge pour rendre hommage à leur chef d'orchestre, des roses qui jonchent les pupitres… C'est avec un concert à l’italienne qu'Enrique Mazzola a fait ses adieux à l'Orchestre national d'Île-de-France (ONDIF) dont il était le directeur musical et le chef principal depuis plus de sept ans.
Le Prélude symphonique de Puccini ouvre le concert et donne immédiatement le ton. Mazzola connaît bien son orchestre et fait varier nuances et intensités d'une main de maître. Dans les envolées lyriques, les pupitres de cordes ne font qu'un, tandis que les cuivres dominent peu à peu les strates de l'orchestre. Malgré quelques imprécisions dans les pizzicati, la cohésion de la masse orchestrale rend justice à cette œuvre de jeunesse, écrite par le compositeur alors qu'il n'était encore qu'un jeune étudiant au Conservatoire de Milan.
La partie centrale de la soirée est consacrée à Rachmaninov et sa Rhapsodie sur un thème de Paganini, interprétée par Alexander Gavrylyuk. C'est avec beaucoup d'humour et de sagacité que le pianiste ukrainien s'empare de la partition, faisant ressortir le caractère ironique de ces variations sur le thème italien. L'écoute entre le chef d'orchestre et Gavrylyuk permet de mettre en valeur le dialogue entre les différents pupitres de l'orchestre et le piano. On peut néanmoins regretter que l'interprétation ne fasse pas pleinement ressortir la double structure de la pièce. Cette Rhapsodie est en effet organisée implicitement selon les principes du concerto, en trois grandes sections qui regroupent des variations au tempo vif, d'autres au tempo lent, avant les dernières variations qui constituent une sorte de finale en apothéose. Les variations de tempo ne sont pas toujours perceptibles, ce qui rend difficile d'approche cette double lecture de la pièce de Rachmaninov. Le toucher toujours agile d'Alexander Gavrylyuk fait cependant oublier ce travers et permet de se délecter du jeu toujours mouvant des équilibres de timbres au sein des variations.
Pour la deuxième partie du concert, c'est sans partition qu'Enrique Mazzola dirige Les Fontaines de Rome et Les Pins de Rome, les deux pièces « romaines » de Respighi. Il ne s'agit pas tant d'une ultime démonstration de maestria de la part du chef que d'un hommage au caractère profondément pictural de cette musique, où l'auditeur déambule de la fontaine du Val Julia à celle de la Villa Médicis, de la Villa Borghèse à la Voie Appienne. La direction très précise d'Enrique Mazzola met en valeur l'ample palette de couleurs orchestrales : les interventions du célesta, du glockenspiel, de la crécelle, de l'orgue ou encore des cloches s'ajoutent par petites touches successives. Dans Les Fontaines, les langoureux trémolos des cordes suggèrent la fluidité du tableau ; dans Les Pins, les cors imitent les klaxons des voitures, évoquant toute l'âpreté d'un paysage urbain. Tous les contrastes de nuances et de caractères sont rendus avec justesse. C'est paradoxalement le jeu très à la française de la phalange qui fait ressortir la subtilité des alliances de timbres, notamment dans les solos des bois. Seul l'enregistrement du chant du rossignol utilisé à la fin du troisième mouvement des Pins peut concurrencer les gazouillis virtuoses de la flûte ou la suavité des solos de clarinette.
Mazzola ménage cependant ses effets. L'effectif orchestral est tel que si les intensités ne sont pas réglées avec parcimonie, l'auditeur arrive rapidement à saturation et le finale perd toute sa splendeur. Le chef connaît littéralement la partition par cœur et ne tombe pas dans ce travers. La marche finale des « Pins de la voie Appienne » est un aboutissement jubilatoire où les percussionnistes se distinguent particulièrement. Les cors et les trompettes, répartis dans la salle de la Philharmonie, donnent de l'ampleur à cette procession des Césars. C'est la phalange de l'ONDIF qui défile en triomphe dans ce finale du deuxième tableau.
Enrique Mazzola peine à quitter scène à la fin de ce concert. Ovationné, le chef est rappelé à de nombreuses reprises par le public, mais également par les instrumentistes de l'ONDIF qui rendent ainsi hommage à sept années de dolce vita.