En attendant la réouverture de la Salle Favart en mars 2017, la saison Favart Off de l’Opéra Comique se poursuit et fait étape pour quatre soirées, du 29 septembre au 9 octobre, à l’auditorium du Musée d’Orsay. Dans le cadre de l’exposition « Spectaculaire Second Empire », les deux maisons se sont associées pour proposer une illustration musicale de cette période ô combien féconde et foisonnante. Bien entendu, qui dit spectacle et Second Empire dit forcément Offenbach ! C’est ainsi qu’est né Un dîner avec Jacques, concocté par Gilles Rico et Julien Leroy. Pour en composer le menu, ceux-ci ont eu l’excellente idée de ressusciter et mettre à l’honneur des œuvres oubliées ou peu connues du grand Jacques : La Princesse de Trébizonde, Ba-Ta-Clan, Les Bavards, Croquefer, Madame Favart, Tromb-Al-Cazar, Robinson Crusoé, Pomme d’api, La Chatte métamorphosée en femme, Le Voyage dans la lune, Geneviève de Brabant. Parmi ces pépites, ils ont également glissé quelques « tubes » tirés d’Orphée aux Enfers, Le Roi Carotte, La Belle Hélène ou encore la Périchole.
Autant le dire d’emblée, pour jouissif qu’il soit, ce dîner ne relève pas de la haute gastronomie : la maison ne sert point d’ormeaux ni de truffe, mais du jambon de Bayonne (« Trio du jambon de Bayonne » de Tromb-Al-Cazar) et du pot-au-feu (« Rondeau du pot-au-feu » de Robinson Crusoé) ! Quant au cadre imaginé par Gilles Rico, l’action se déroule dans un cabaret loué avec un orchestre par un couple d’aristocrates (du Second Empire, bien sûr) pour y recevoir à dîner un couple d’acteurs. Tout commence gentiment, poliment, en respectant les usages. Mais très rapidement, les choses dégénèrent : grisés et échauffés par la sensualité des agapes, les convives abandonnent réserves et convenances pour laisser s’exprimer sans freins leurs fantasmes, leurs délires et leurs peurs. C’est débridé, parfois gras, parfois grinçant, rarement très fin. Pourtant, si l’on accepte ce parti-pris très « bouffon », on rit de bonne grâce, d’autant que les chanteurs s’avèrent d’excellents comédiens, qui savent aussi très bien déclamer leurs textes.
Évidemment, le plat de résistance, c’est la musique. Les cinq chanteurs constituent un plateau très homogène, duquel se détache tout de même Yann Beuron, à qui Offenbach sied à merveille. Quelques mois après avoir incarné un superbe Fridolin XXIV dans Le Roi Carotte à l’Opéra de Lyon, le ténor semble se régaler autant qu’il nous régale. Et c’est avec joie que nous le retrouverons le mois prochain à l’Opéra Bastille dans Les Contes d’Hoffmann. En baronne coincée, puis lubrique, Vanina Santoni est, elle aussi, épatante. Nonobstant, sa voix de soprano lyrique n’est pas la mieux adaptée au personnage d’Eurydice dans lequel elle se glisse à deux reprises, pour le duo de la mouche et « La mort m’apparaît souriante ». La mezzo-soprano Antoinette Dennefeld n’est pas en reste, et nous offre notamment deux moments désopilants : l’air du mal de dents, extrait de La Princesse de Trébizonde et le célébrissime « Ah ! Quel dîner je viens de faire » de La Périchole. En revanche, on se serait passé bien volontiers du « Scintille, diamant » : en premier lieu parce que Jean-Sébastien Bou n’y est pas très à l’aise, éprouvant bien des difficultés à faire entendre ses graves ; ensuite parce que cet air, inspiré de l’ouverture du Voyage dans la lune, fait partie des nombreux ajouts et bricolages infligés aux Contes d’Hoffmann après la mort du compositeur. Enfin, Franck Leguérinel campe un majordome irrésistible.
Sous la baguette enjouée et précise de Julien Leroy, l’effectif réduit des Frivolités Parisiennes offre aux chanteurs un assaisonnement – pardon, un accompagnement – tout à fait consistant, sur la base des astucieux arrangements de Thibault Perrine. Malgré la lourdeur de certains plats, ce dîner est tout à fait réjouissant et l’on en sort l’estomac et le cœur légers.