Dialogue entre deux danseurs, entre cinq compagnies de danse contemporaine, entre six chorégraphies, mais aussi dialogue entre des artistes et leur public, la soirée « Dialogues » au pluriel est une occasion de convoquer sur la scène du Théâtre des Champs-Élysées une palette d’artistes fameux de l’univers de la danse : Mats Ek, Ohad Naharin, Jiří Kylián, Crystal Pite, Sasha Waltz, Emma Portner, le Ballet National de Norvège, le Staatsballett de Berlin... Dialogues est ainsi un très beau panorama chorégraphique, interprété avec beaucoup de qualité, et avec un thème imposé : le pas-de-deux.
Un extrait d’Impromptus, qui était en 2004 la première création sur une partition de musique classique de la chorégraphe allemande Sasha Waltz, ouvre ce grand bal de pas-de-deux. Une femme affligée de chagrin et aux extrémités – pieds, mains et tête – tachées de sang parcourt la scène sur la pointe des pieds, tandis qu’un homme est là pour accueillir sa fragilité. Joli sans être original, ce pas-de-deux sur les notes douces de Franz Schubert semble surtout étrangement déraciné de son œuvre originale et ne produit pas cet impact immédiat qu’exige une pièce courte.
Le Ballet National de Norvège présente ensuite un duo féminin, Islands, composé par la jeune chorégraphe canadienne Emma Portner, et 14’20’’, un extrait de la pièce 27’52’’ de Jiří Kylián composée en 2002. Islands met en scène la lumière autant que la danse dans une scénographie particulièrement aboutie, où des bruits d’eau et des échos troubles forment un appel lointain. Deux femmes positionnées l’une derrière l’autre pour former l’illusion d’un corps unique aux multiples bras et jambes apparaissent sous un rai de lumière. Le halo s’élargit alors pour former un carré lumineux, qui projette les corps au sol ou les plaque contre le mur. Enfin, le duo s’unit dans une danse très féminine qu’accompagnent les notes d’un piano.
Plus underground, la chorégraphie de Jiří Kylián révèle la scène dans toute sa dimension, éliminant les coulisses et l’arrière-scène pour montrer les murs bruts du théâtre mis à nu. Les voix d’une femme et d’un homme prononcent des bribes de phrases, évoquant en plusieurs langues le manque et la séparation. Comme si ces mots émanaient de leur propre cage thoracique, les corps tressautent au rythme des intonations, souffles et silences, avant de disparaitre sous le tapis de scène au terme de la pièce. On retiendra tout particulièrement la danseuse Samantha Lynch, interprète des deux chorégraphies et particulièrement brillante dans le registre vif de 14’20’’.
Création récente de la talentueuse chorégraphe canadienne Crystal Pite, Animation est peut-être la composition la plus saluée de la soirée. Travaillant sur l’opposition entre mouvement syncopé et fluidité, l'œuvre est une performance époustouflante, interprétée par Renée Sigouin et Gregory Lau, deux danseurs issus de la compagnie Kidd Pivot de Crystal Pite. Les corps se désarticulent comme ceux de robots, fourmillent ou au contraire se fondent dans un duo final très entraînant.
Instant de poésie suspendu, le pas-de-deux du balcon tiré de Juliet & Romeo de Mats Ek nous transporte ailleurs. Et c’est aussi tout le génie de Mats Ek : installer une émotion prodigieuse dans un moment de danse si court. Dans une danse de l’abandon et de la béatitude, les corps enivrés rampent au sol, flottent, se laissent choir, sont emportés par l’extase, et, visage contre visage, se scrutent de haut en bas avec la candeur d’enfants. L’extrait est sublimement interprété par Mariko Kida et Johnny McMillan du Staatsballett de Berlin.
Ohad Naharin, le chorégraphe israélien et directeur artistique de la Batsheva Dance Company à Tel-Aviv, clôture la soirée avec un duo pour femmes : B/olero. Sur une bande-son d’Isao Tomita qui donne à la mélodie de Ravel des accents de disco orientale, deux femmes vêtues de petites robes noires réalisent un tour de force de synchronisation. Plusieurs élans s’entrecroisent : l’intensité des corps et des regards, la malice, lorsque les danseuses réalisent des moulinets de bras, mais aussi la sensualité lorsqu’elles portent leur main à la bouche face au public. Véritablement électriques, les deux anciennes danseuses de la Batsheva Dance Company Maayan Shienfeld et Rani Lebzelter montrent une coordination parfaite et une virtuosité frappante.