C’est un projet plein d’ambition que nous proposent le compositeur Wolfgang Mitterer et Geoffroy Jourdain à la tête des Cris de Paris, dans la mise en scène d’Aurélien Bory : ressusciter la genèse de l’opéra allemand sur les planches du Théâtre de l’Athénée. Un projet périlleux que de ramener à la vie cette Dafne composée en 1627 par Heinrich Schütz – la partition est partie en fumée dans un incendie à Dresde – et dont seul nous est parvenu le livret de Martin Opitz. Voilà de quoi attiser notre curiosité pour ce « madrigal-opéra d’après Heinrich Schütz ».

Dafne au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
© Aglaé Bory

Obscure, la mise en scène signée par Aurélien Bory annonce d’emblée la couleur : scène noire, décors noirs, costumes noirs. Cette sobriété, à même d’insuffler une dimension intemporelle au mythe ovidien et d’accentuer le caractère collectif dans l’incarnation des protagonistes, n’évite pas, malgré son aspect esthétique, le piège de la monotonie. Il en est de même pour cet élément central de la mise en scène qu’est le plateau tournant, ingénieux et utile aux procédés évolutifs, mais qui usité à outrance finit par donner la nausée. En revanche, l’omniprésence du cercle et de la flèche vient apporter – en illustrant le concept de la métamorphose – un peu de relief à la narration : chanteurs plantés sur la scène tournante comme les flèches décochées par Apollon sur ses cibles, réemploi de ces flèches en rayons solaires comme attribut de Phébus face à l’arc de la nymphe (que l'assimilation à une Diane chasseresse éloigne du texte d'Ovide), transfiguration tournoyante de Daphné en laurier – dont l’étrange ressemblance avec un sac poubelle ne manque pas de comique.

Dafne au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
© Aglaé Bory

Obscure également, la musique de Wolfgang Mitterer. Celui-ci peine à trouver l’équilibre entre le fond et la forme, entre résolutions harmoniques et dissonances, donnant à entendre un exercice de style composite qui se perd à vouloir faire du nouveau avec de l’ancien, de l’ancien avec du nouveau… ou simplement du néo-rétro. Cette composition entremêle une habile mais ennuyeuse écriture madrigalesque avec, en lieu et place de la basse continue, une bande-son électronique versatile, plus farfelue que convaincante. Malheureusement, la musique de Schütz se perd au milieu des frasques vocales quelque peu contraintes et empesées, des répétitions à outrance, et des réminiscences anachroniques – signatures auditives du compositeur – de Beethoven, Vivaldi, ou encore Stravinsky.

Dafne au Théâtre de l'Athénée Louis-Jouvet
© Aglaé Bory

Mitterer ne sort pas de son canevas habituel qui finit ici par lasser, malgré la belle prestation des Cris de Paris. Composé pour l’occasion de sept femmes et de cinq hommes, l’ensemble, adroitement dirigé par Geoffroy Jourdain, incarne dans une scénographie millimétrée les différents personnages du mythe, aussi bien individuellement que collectivement. Portant à bout de bras l’action madrigalo-dramatique, ces chanteurs/performeurs/instrumentistes font preuve d’une belle implication, tant vocale que scénique, et même instrumentale avec l’apparition d’un petit orchestre de scène et de la très belle flûte de la soprano Anne-Emmanuelle Davy qui vient conclure cette création trop ambitieuse.

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