Hofesh Shechter est de retour au Théâtre des Abbesses avec une nouvelle pièce, Contemporary Dance 2.0, adaptation de Contemporary Dance créée en 2019 pour la compagnie suédoise GöteborgsOperans Danskompani. Cette création s’inscrit dans une actualité foisonnante car le chorégraphe d’origine israélienne est simultanément à l’affiche de l’Opéra de Paris (avec l’entrée au répertoire de deux de ses anciennes chorégraphies) et de tous les cinémas de France avec le film de Cédric Klapisch En Corps. Hofesh Shechter montre ainsi qu’il sait s’adresser à tous les publics, présent dans les plus grandes institutions culturelles comme dans la culture grand public. Contemporary Dance 2.0 est, elle aussi, une œuvre-carrefour, qui mêle la danse contemporaine aux codes des cultures urbaines dans une énergie explosive, qui célèbre littéralement la jeunesse.

Contemporary Dance 2.0
© Todd MacDonald

Depuis 2018, la compagnie de Hofesh Shechter a formé un deuxième ensemble, Shechter II, composé de jeunes danseurs âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Cette initiative permet d’offrir une expérience de co-création suivie d’une tournée mondiale à une troupe renouvelée tous les deux ans. En 2022, c’est ainsi la troisième « cuvée » qui monte sur les planches du Théâtre des Abbesses, dans une énergie bouillonnante et un plaisir de danser évident. Shechter II est une superbe vitrine de jeunes talents qui avait fait émerger quelques magnifiques danseurs lors des précédentes années, tels que Natalia Gabrielczik (première promotion) ou Charles Heinrich (deuxième promotion). Cette année, on y découvre huit interprètes stupéfiants, dont Tristan Carter, Justine Gouache ou encore Oscar Jinghu Li.

La lumière s’allume brutalement sur huit interprètes survoltés, aux vêtements oversize aussi tapageurs que branchés – joggings, chemises flottantes, haut pailleté, sweat zippé et autre bandana bleu électrique. L’un d’eux brandit une pancarte : « Part I : Pop ». Une bande-son exaltante composée par Hofesh Shechter, croisant électro, rock et hip-hop, rugit sur scène. Les danseurs forment un groupe compact, furieux, concentré à l’extrême sur une gestuelle saccadée inspirée du clubbing. Par moments, les pulsations de la musique se font plus sourdes, rappelant le son étouffé d’une boîte de nuit dont on s’éloignerait progressivement. Ce premier chapitre est une performance d’ensemble sur un rythme percussif électrisant, qui rappelle les démonstrations et les battles des danses de rue. De façon amusante, on y retrouve aussi quelques gestes issus des précédentes créations de Hofesh Shechter, autocitations qui donnent l’impression que son propre langage chorégraphique est entré dans la culture populaire.

Contemporary Dance 2.0
© Tom Visser

Dès le second mouvement, pourtant, le chorégraphe nous emmène dans un autre niveau de lecture. Cette deuxième partie sous-titrée « with feelings » prend du recul par rapport au précédent tableau. Les mouvements restent similaires mais sont transposés dans une qualité différente, plus douce et plus raffinée. Non sans un soupçon d’ironie, on passe du premier degré au second : comme si la culture populaire se transportait dans un univers plus aseptisé, plus officiel, dont les danseurs plaisanteraient.

La troisième partie, intitulée « mother », est un retour au tumulte, avec des passages particulièrement énervés. « mother », sans majuscule, évoque moins la mère que la rébellion face à la figure de la mère, dans un déchaînement d’énergie que cadence le mot « motherfucker », martelé dans une bande-son de roulements de tambours.

Contemporary Dance 2.0
© Tom Visser

Après être allés au bout de leurs forces, les corps en transe se brisent dans un moment plus éthéré. C’est la phase « contemporary dance » sur une partition de Bach dont la légèreté semble teintée d’humour. Suit le tableau final « Part V : The End », où un éclairage très fort et très blanc se braque sur les corps rompus, transpirants et sales, des danseurs. On a l’impression d’assister à la fin d’une soirée, quand la lumière crue se rallume sur des corps débarrassés de tout complexe. Sur l’air de My Way de Frank Sinatra, le groupe reprend la chorégraphie d’ouverture de la pièce, dans une énergie guillerette, des sourires béats flottant sur leurs lèvres.

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