Sofia Dias et Vitor Roriz, danseurs et chorégraphes portugais, ont créé un spectacle dansé, parlé, chanté avec Ce qui n’a pas lieu. Présenté au Théâtre de la Bastille jusqu'au 29 février, ce spectacle qui relève de la performance d’acteurs et de danseurs est très libre et riche en expérimentations en tous genres : langagière, phonétique, chorégraphique.
Vêtus de gris et chaussés de baskets, les deux artistes apparaissent sur un plateau blanc agrémenté de quelques éléments de décors éclectiques : pans de mur suspendus, écrans d’ordinateurs à l’avant-scène et plaque massive grise rectangulaire au sol. Le spectacle s’ouvre sur un chant fragmenté de Sofia Dias qui éclipse des syllabes du texte anglais. S’ensuivent des mouvements hachés pendant lesquels les deux danseurs forment quelques pas rectilignes en isolant le haut de leurs corps par des gestes saccadés.
Après ce prélude énigmatique, le duo met en place ce qui représente le cœur du spectacle : le lien du geste à la parole. Ainsi, leur travail, fruit d’improvisations et de la lecture du Bain de Diane de Pierre Klossowski, joue avec vivacité et esprit sur les répétitions langagières, les syllabes et les résonances provoquées dans le corps. Leurs séquences sont souvent parlées et simultanément dansées, ce qui relève d’une technique époustouflante à voir. Parfois travaillés selon un mimétisme gestuel strict, les mots peuvent donner lieu à des passages dansés abstraits : le mot « vague » par exemple n'amène pas les danseurs à reproduire un mouvement de vague mais à improviser dans une exploration du mouvement beaucoup plus vaste. Ces procédés sont très réussis : ils ne lassent jamais et ne permettent pas au spectateur de trouver une suite prévisible au mouvement. L'univers de Sofia Dias et Victor Roriz trouve donc sa particularité dans ce langage chorégraphique unique.
Les thèmes explorés par les danseurs sont extrêmement riches et variés. Des bribes de narration laissent parfois place à des répétitions de mots extrêmement rapides jusqu’à épuisement, tandis que certains passages silencieux donnent lieu à des mimes réjouissants : Sofia Dias parcourt l'ensemble du plateau en gesticulant, imitant l'utilisation d'un extincteur, giflant fictivement son partenaire alors même qu'il parle de fraternité... Les nombreux décalages créent un effet comique des plus réussis.
Les artistes ont donc créé un duo intelligent et très bien pensé où le dialogue est permanent et les sens du langage décuplés. Posant parfois des questions philosophiques sur l’expression de la pensée, les danseurs gardent néanmoins une grande simplicité et authenticité avec de l’humour et de la spontanéité dans les gestes. Ils interprètent, vers la fin du spectacle, un très beau duo en silence où toute l’énergie des corps semble gonflée par le pouvoir de tous les mots qui précèdent. Un des aspects passionnants du spectacle est bien l’accroissement de la conscience du corps en particulier et des sens en général, qui semble enrichie par le langage.
Le challenge est d’autant plus remarquable que les artistes portugais présentent au Théâtre de la Bastille le spectacle en français. Un bel exploit de Sofia Dias et Vitor Roriz dont la complicité scénique est exceptionnelle et l’inventivité inépuisable.