Les solistes des Berliner Philharmoniker n'en sont pas à leur premier marathon Brahms parisien : certains se souviendront de leurs exploits de 2018 déjà au Théâtre des Champs-Élysées, ou encore en 2012 dans la regrettée Salle Pleyel. On se régale ainsi par avance de ce concert en forme de festin sonore avenue Montaigne, où les visages d'Edgar Moreau et du pianiste Sunwook Kim se joignent à ceux des solistes de la prestigieuse phalange berlinoise.

Amihai Grosz
© Edith Held

En guise de hors-d'œuvre, le Quatuor pour piano et cordes K493 de Mozart. Et déjà, l'occasion de se souvenir à quel point, dans cette formation, c'est véritablement l'alto qui tient l'équilibre des tuttis des cordes. Sous les doigts d'Amihai Grosz, le voilà résonnant d'une élégance chaleureuse et idéale. Le « Berliner » – et, plus encore, ancien membre du Jerusalem Quartet – imprime à ses douces lignes de contrechant une volonté de soutien qui ne s'efface pas, tout en laissant à son collègue Guy Braunstein le soin d'assurer la vocalité des passages cantabile. Si bien que lorsque Grosz, le temps de quelques mesures, vole la vedette au violoniste, la transition est si douce et si fluide qu'on repense à ces paroles qu'il nous avait confiées il y a quelques années : en abolissant toute notion de hiérarchie, les musiciens sont toujours chambristes, toujours solistes, toujours voix principale, toujours contrechant. C'est ça, les « Berliner » !

À sa droite, on sent le métier de Guy Braustein, vieux briscard de la phalange allemande. En terme de conduite des phrases et de contrôle de l'archet, sa maîtrise est impériale : tout coule avec un naturel qui frise l'indécence. Dans le finale, le voilà qui interprète la mélodie du rondo avec une bonhomie presque franche, rendant à la musique sa fraîcheur goguenarde et l'éloignant des courbettes avec lesquelles elle est trop souvent présentée. On est plus circonspect, en revanche, à l'endroit de sa main gauche. Parfois ébouriffante (cet arpège où les doigts bondissent d'une position à l'autre restera longtemps dans notre mémoire), elle connaît parfois de cruels accidents – que l'on passerait volontiers sous silence s'ils ne gâchaient pas, par leur fréquence, le plaisir de l'écoute.

Il faudra attendre le Troisième Quatuor pour piano et cordes de Brahms pour entendre s'épanouir le violoncelle d'Edgar Moreau. Miracle d'expressivité dans le fameux solo qui ouvre le mouvement lent, il ne parvient néanmoins pas vraiment à s'imposer comme basse du trio de cordes ; plus à l'aise dans les sections mélodiques, il laisse à Amihai Grosz le soin d'assurer la fonction de socle harmonique. Curieux trio ! À leurs côtés, Sunwook Kim propose une lecture plus organique que lyrique de la partition, sa sonorité généreuse venant donner à la ligne l'ambitus sonore dont elle a besoin pour emporter l'auditeur. Le deuxième mouvement du Quatuor de Brahms, par exemple, ressemble ainsi plus un marathon qu'à une succession de sprints, le pianiste ménageant les nuances tout en maintenant une vraie qualité d'articulation dans les passages piano, pour n'offrir l'envolée des forte qu'au moment propice.

Changement d'équipe pour conclure avec le Quintette avec clarinette de Brahms : Christoph Streuli rejoint Guy Braunstein au violon, tandis que Ulrich Knörzer prend la partie d'alto. Le quatuor à cordes fait montre de vraies qualités solistiques dans les passages exposés individuellement, mais peine à soutenir la dramaturgie de l'œuvre sur la durée : la faute à une harmonie pas toujours équilibrée et un rythme parfois chancelant. Quant à la clarinette, elle fait office de soliste officieux, placée face à Braunstein et non au centre du groupe. Sonorité ouatée, timbre soutenu quasi sans vibrato, dynamiques piano expressives et sombres, reprises de phrases au rubato docile et souple : Wenzel Fuchs ne trahit pas ses promesses et conclut en beauté cette soirée berlinoise.

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