Pour sa première contribution aux festivités qui émailleront cette année Beethoven, le ci-devant Orchestre national de Belgique – devenu aujourd’hui Belgian National Orchestra – et son chef Hugh Wolff n’avaient certainement pas choisi la solution de facilité qui aurait consisté à offrir symphonies ou concertos du maître de Bonn au public du Palais des Beaux-Arts, mais avaient opté pour ce chef-d’œuvre somme toute assez rare au concert qu’est la gigantesque Missa solemnis. Dans cette œuvre complexe et fascinante, Beethoven regarde par moments vers le passé (Palestrina et surtout Haendel) sans hésiter à bouleverser la conception de la musique sacrée de son temps, en confiant un rôle d’une importance jusqu’alors inédite à l’orchestre. Celui-ci est ici bien davantage qu'un simple soutien du chœur (protagoniste essentiel) et des solistes, mais devient un acteur de premier plan.
L’approche retenue par Hugh Wolff peut être qualifiée de traditionnelle dans le meilleur sens du terme. Tout au long de l’ouvrage, le chef veille à obtenir un son chaleureux et souple de la phalange bruxelloise. Celle-ci paraît sous son meilleur jour avec des cordes chaudes et ductiles, des bois pleins de personnalité et des cuivres fermes et sûrs. Outre un orchestre en pleine forme, Wolff peut compter sur un ensemble choral de toute première qualité d’environ 80 chanteurs regroupant la Cappella Amsterdam et l’Ensemble Vocal de Lausanne. On ne dira jamais assez l’avantage qu’il y a à disposer, dans une œuvre aussi exigeante, de choristes professionnels de cette qualité, capables d’affronter ces pages redoutables avec une maîtrise confondante. Bravo à leur chef Daniel Reuss et profitons-en pour indiquer qu'il dirigera ce même ensemble choral dans la Missa solemnis lors de Folle journée de Nantes les 31 janvier et 1er février ainsi qu’à Lausanne le 5 février.
Dès le « Kyrie » initial, alors que l’ensemble choral montre déjà ses qualités, on peut apprécier la maîtrise du chef : balance orchestrale parfaite, finesse des phrasés, tempos parfaitement choisis. Évidemment, cette grande messe exige un quatuor de solistes de première qualité et il y a ici de quoi contenter les plus difficiles : la soprano Camilla Tilling, la mezzo Marianne Beate Kielland, le ténor Thomas Walker et la basse Hanno Müller-Brachmann défendent cette musique avec un engagement total, tout en évitant de tomber dans une théâtralité hors de propos.
On ne pourrait pas faire de plus grand compliment à tous les interprètes que de dire qu’ils se sont mis entièrement au service de la musique pour présenter cette œuvre d’une infinie richesse : alternent alors aux oreilles des auditeurs de jubilatoires fugues néo-haendeliennes avec des passages d’une infinie douceur, la supplication du croyant avec l’affirmation de sa foi, la brillance orchestrale et le recueillement. On ne manquera pas non plus de féliciter le Konzertmeister Alexei Moshkov, véritablement souverain dans son intervention dans le « Benedictus », agissant comme un cinquième soliste, dialoguant aussi bien avec les bois de l’orchestre qu’avec les chanteurs.
Plus que tout, on retiendra ici la sincérité et l’intégrité du chef, sa profondeur sans lourdeur, la clarté de sa vision et sa parfaite collaboration avec ses vaillantes forces orchestrales et chorales (sans oublier les solistes) qu’il a su conduire à un triomphe mérité.