Dirigé par le collectif (La)Horde depuis trois ans désormais, le Ballet national de Marseille est en tournée avec trois créations de Tânia Carvalho. La compagnie a été largement renouvelée depuis l’arrivée de (La)Horde dans un souci manifeste de promouvoir la diversité, avec une vingtaine de nouveaux visages de toutes nationalités, de toutes couleurs de peau, de tous âges, de toutes morphologies et de toutes formations. S’il est crucial de promouvoir la mixité dans la danse, la variété des horizons artistiques dont proviennent tous ces profils (danse contemporaine, classique, hip-hop, voire cirque et gymnastique) laisse malheureusement un faible dénominateur commun pour composer des chorégraphies d’ensemble dans un registre qui valorise chacune et chacun... Et cela pose un problème visible sur scène, qui n’a manifestement pas embarrassé la chorégraphe portugaise. En composant une fresque émaillée de pas classiques ou d’acrobaties, dont la réalisation par certains interprètes éloignés de ces pratiques est plus que maladroite, Tânia Carvalho a donné un aperçu médiocre du niveau de danse de la compagnie.
Le triptyque s'ouvre avec la reprise d’une pièce composée en 2016 pour le Ballet de Lyon, Xylographie. Dans le silence, un homme avance pas à pas sur scène, la poitrine penchée vers l’avant et les bras tendus dans le dos, comme un oiseau menaçant. Il esquisse quelques mouvements saccadés, dont des pas empruntés au répertoire classique (pliés en seconde, grand jeté à la seconde). Une quinzaine de danseurs le rejoignent, tous vêtus de pantalons ou de justaucorps à froufrous farfelus, façon concours de patinage artistique. Leur visage peint en blanc est barré par un rictus rouge inquiétant, pantins étranges formant trois groupes de couleurs différentes (les rouges, les noirs et les bronzes). Leurs gestes se démultiplient dans l’espace avec un effet de décalé, pour retranscrire le procédé de xylographie, une technique de gravure chinoise par surimpression. Malheureusement, le résultat reste peu convaincant, les danseurs ne parvenant pas à coordonner leurs mouvements. Pour cause : la bande-son, faite de grandes nappes musicales abstraites, ne contient aucun repère musical permettant d’arrêter les gestes et les poses précises prévus par la chorégraphie.
Le second tableau, As If I could stay there forever, est un solo de quelques minutes. Probablement le moment le plus intéressant de la soirée, ce seul-en-scène reste néanmoins d’une grande banalité : une femme se tient debout sous le halo d’un projecteur, vêtue d’une robe noire sensuelle et d’escarpins pointus. Elle reste immobile dans le silence, avant de retirer ses chaussures et de commencer à s’animer lorsque démarre une bande-son qui mélange des bruitages indistincts aux accents graves d’un piano. Les pieds vissés au sol, la danseuse se tord de droite à gauche et tourne son visage dans toutes les directions. Après s’être gratté frénétiquement le ventre, elle fait quelques pas sous la lumière et s’effondre le visage contre terre, les mains nouées dans le dos dans un geste de désespoir. Elle tourne alors les talons, et s’en va d’un pas léger.
Le dernier tableau, créé pour le Ballet National de Marseille et mystérieusement intitulé One of four periods in time (ellipsis), reprend les mêmes ressorts artistiques que Xylographie. Composé pour un ensemble nombreux, il débute par une séquence semblable (l’arrivée sur scène d’un danseur dans le silence, rejoint par le reste du groupe sur la musique) et met également en scène des personnages fantasmagoriques – sans que l'on sache réellement pourquoi. Cette fois-ci, les danseurs arborent successivement de petites robes blanches agrémentées de chaussettes rouges puis un justaucorps noir à une seule manche, tandis que le maquillage inventif (lèvres carmin et motifs de triangles dessinés sur le front) leur donne un aspect de clowns sinistres. Les gestes sont syncopés, et les visages se crispent dans des grimaces tantôt hilares, tantôt patibulaires. De nouveau, les ensembles sont brouillons et le mouvement, qui amalgame des pas de danse classique avec des séquences qui ressemblent à de l’acrogym, est mal distribué dans la troupe, avec des danseurs parfois franchement mal à l’aise dans certains gestes. Le propos chorégraphique qui sous-tend la pièce reste en plus totalement hors de portée : qui sont ces personnages, que représentent-ils de nos vies ? Tânia Carvalho n'apportant aucun élément de réponse, on quittera sans regret la Grande Halle de La Villette.