Dans une série de représentations consacrées au chorégraphe George Balanchine, le Ballet de l’Opéra de Paris intègre deux nouvelles pièces du maître à son répertoire : Ballet Impérial et Who Cares?. Représentatives de deux époques artistiques différentes, ces chorégraphies donnent aussi à voir deux facettes emblématiques de l'artiste en célébrant ses origines russes (dans Ballet Impérial) et l’Amérique des années d’après-guerre (avec Who Cares?). Dans un décorum un peu kitsch, à la fois minimal et très pailleté, on découvre de vrais ballets de princesse, à la danse fluide et tourbillonnante, qui laissent un peu dans l’ombre les rôles masculins.
Ballet Impérial fut composé en 1941 comme un hommage aux grands ballets classiques russes, sur la partition majestueuse du Concerto pour piano n° 2 de Tchaïkovski. Vêtu de somptueux tutus roses poudrés et de diadèmes étincelants, le corps de ballet esquisse dès le lever du rideau des arabesques et des cambrés avec un bras en couronne, référence à l’entrée des Ombres dans La Bayadère de Marius Petipa, ballet romantique russe créé au Bolchoï à la fin du XIXe siècle. Une première soliste entre en scène, Silvia Saint-Martin, avec une variation plutôt propre mais sans emphase et une amplitude de sauts limitée. Ludmila Pagliero lui succède, avec une mise en jambes particulièrement ardue : sa démonstration très académique de tours et de pas de pointes est royalement exécutée. L’étoile, parfaitement à l’aise dans le registre néoclassique, ajoute à sa performance un supplément d’âme qui manque au corps de ballet plus placide.
Dans le rôle d’un prince allégorique, vêtu d’un collant et d’un plastron bleu, Paul Marque est un partenaire discipliné, dont les envolées toujours stupéfiantes nous laissent paradoxalement sur notre faim : quel dommage que la chorégraphe confine dans un rôle mineur celui du prince, qui sert davantage à promener à chacun de ses bras une corolle de soupirantes qu’à nous enthousiasmer par ses variations en solo...
Avec Who Cares?, composé trente ans plus tard sur la musique symphonique de George Gershwin, on passe dans un registre plus populaire mais toujours aussi scintillant. Les danseuses apparaissent dans des tuniques roses et violettes, avec des jupettes à petit revers brillant. On aperçoit en toile de fond les gratte-ciels new-yorkais. Dans une danse chaloupée et démonstrative façon cabaret, les hommes déambulent sur scène dans des costumes de ville violets, comme s’ils sortaient joyeusement du travail. Derrière eux, quatre femmes prennent la pose les mains sur les hanches, et les pointent du doigt un à un, brochette de greluches à l’œil aguicheur. Datant des années 1970, cette mise en scène semble paradoxalement plus datée que la précédente – qui était moins genrée et plus suspendue dans le temps.
S’enchaînent alors une suite de variations de trois femmes, toutes amourachées du même homme. L’étoile Léonore Baulac, qui incarne la première de celles-ci, offre une danse fluide et joliment interprétée, bien qu’avec un léger passage en force sur la technique. Hannah O’Neill offre une belle démonstration d’endurance avec une variation de sauts coriace et toujours une forte présence. Enfin, Valentine Colasante complète le trio féminin, en s’attaquant aux morceaux les plus difficiles sur le plan chorégraphique : diagonales de tours et fouettés. Elle relève le défi brillamment avec une maîtrise solide et un esprit plus ricaneur, qui tranche avec l’angélisme de Léonore Baulac. À leurs côtés, le danseur Germain Louvet est plutôt oubliable, insuffisamment mis en valeur par son rôle de simple partenaire, censé s’effacer derrière la ballerine. Malgré ces réserves, on ressortira emportée par le finale enlevé sur l’air joyeux d’« I Got Rhythm », dansé à l’unisson par l’ensemble du corps de ballet et des solistes.