La seule lecture du programme du concert du 30e anniversaire du chœur accentus nous avait réjoui ! Quelle belle idée de consacrer toute une soirée à Mendelssohn, si peu programmé dans nos contrées – même les tubes comme la Symphonie Italienne ou le Concerto pour violon ne sont pas si fréquents ! On ne peut qu’en féliciter Laurence Equilbey, cheffe et fondatrice du chœur comme de l’Insula Orchestra qui l’accompagnait ce soir.
Le programme s’ouvre avec la cantate Vom Himmel hoch : où l’on se dit que Mendelssohn n’a pas fait que réhabiliter, promouvoir et diffuser largement la musique du Cantor de Leipzig – on a peine aujourd’hui à imaginer que Johann Sebastian Bach, cinquante ans après sa mort, était oublié ! Il écrit une courte cantate qu’on croirait sortie d’un oratorio de Bach. Après une introduction jubilatoire, Mendelssohn cite précisément le choral luthérien qui donne son nom à l’œuvre, si souvent utilisé par Bach. La cohésion orchestre/chœur semble un peu problématique, dans un tempo initial pourtant retenu. Les interventions du baryton Florian Sempey qui a gagné en sveltesse physique et vocale, le soprano séraphique d’Hélène Carpentier illuminent ce vibrant hommage du jeune Mendelssohn à son illustre modèle, tandis que les 36 chanteurs d’accentus trouvent finalement leurs marques dans l’acoustique généreuse de la Philharmonie.
Va suivre un premier extrait d’un oratorio, Christus, commencé en 1844 mais inachevé à la mort de Mendelssohn en 1847, qui évoque, à nouveau, Bach et ses Passions. Après un bref récitatif confié à la soprano, le chœur accentus et l’Insula Orchestra sont rejoints cette fois, outre Florian Sempey, par le ténor Stanislas de Barbeyrac, en très grande voix, et une basse du chœur pour un étonnant trio évoquant la naissance du « nouveau roi des Juifs ».
Insensiblement le sentiment nous gagne pourtant d’une certaine uniformité dans la direction, d’une expression chorale qui manque de nuances et d’engagement et demeure dans une diction émolliente de l’allemand. C’est particulièrement évident dans le motet Nunc dimittis chanté a cappella. Il faudra une brève incursion dans le répertoire contemporain – un extrait des Fragmenta Passionis de Wolfgang Rihm – pour qu’accentus semble sortir de sa torpeur, pour chuchoter d’abord et crier de plus en plus fort un « Kreuzige ihn » (Crucifie-le) impressionnant. Le même appel de la foule se retrouve dans le second extrait de Christus de Mendelssohn, mais de nouveau comme atténué. Et la première partie du concert se conclut, par un bref passage, a cappella, des Sechs Sprüche évoquant le Vendredi Saint.
Changement radical de tonalité dans la seconde partie, avec l’un des chefs-d’œuvre du premier romantisme allemand, la très profane Nuit de Walpurgis, qui s’inspire d’un texte de Goethe sous-titré cantate, mais pas de son Faust. Initialement conçu comme une « ballade dramatique », le texte de Goethe reprend tous les codes du genre, une temporalité médiévale, la forêt et la nuit comme toiles de fond, une sorte de sabbat fantastique. Mendelssohn tourne cette fois le dos à Bach, et, dans les pas de Weber ou Schumann, compose une fresque d’ampleur (40 minutes) qui entraîne un vaste effectif orchestral et choral ainsi que trois solistes vocaux dans un incessant tourbillon.
Dans la tempétueuse ouverture, la cheffe se montre impérieuse, parfois bien verticale, l’Insula Orchestra déploie ses couleurs – bois fruités, cors sylvestres à souhait. Les neuf numéros qui suivent font alterner odes joyeuses à la nature et passages dramatiques : à la légèreté du premier chœur des druides (« Es lacht der Mai ») vont succéder les terreurs nocturnes des veilleurs (« Kommt mit Zacken und Gabeln ») qui ne seront apaisées que par l’invocation finale des druides en un éblouissant choral (que Mendelssohn reprendra dans le finale de sa Cinquième Symphonie). Stanislas de Barbeyrac et Florian Sempey font mieux que chanter leurs parties, ils arpentent une scène d’opéra – on n’en dira pas autant de leur consœur Hilary Summers.
La création d’accentus il y a trente ans était un pari : la longue ovation du public de la Philharmonie confirme que l’ensemble fondé par Laurence Equilbey est devenu irremplaçable dans le paysage musical français. Dans un bref remerciement, la cheffe souligne l’importance du soutien des pouvoirs publics et, citant l’exemple de l’empereur Joseph II, souverain éclairé, protecteur des arts, nous offre en bis un extrait de la cantate que Beethoven a composée en 1790 pour ses funérailles.