Gloria ouvre la saison au Grand Théâtre des Gémeaux ce 21 septembre, et le spectacle prend tout son sens après des mois de report d’ouverture des salles, en exprimant la joie de danser.
Le décor est composé d’un unique écran en fond de scène, sur lequel restent projetés en bas de ce dernier, tout le long du spectacle, deux grands avions en papier affichant « Tout est foutu soyons joyeux » ou encore « Rassurons-nous tout va mal ». On y voit parfois les danseurs sur scène en direct, en plus gros plan, ou des vidéos enregistrées. L'écran est ici bien exploité, et suffit amplement au décor tant les danseurs constituent les éléments phares de la scène en l'occupant avec brio.
Les seize danseurs, cosmopolites, d’âges variés et morphologies diverses, sont interprètes de hip-hop, de flamenco, de chant, de one man show, bref sont dotés de nombreux talents et brillent par leurs personnalités. Le spectacle mêle témoignages à l’avant-scène et séquences dansées, seul ou à plusieurs, tous ensemble dans le bruit ou à deux sur de la musique lyrique. José Montalvo a choisi de partir de l’expérience intime des danseurs : comment ont-ils découvert la danse, quels sont leurs souvenirs d’enfance. Les danseurs se livrent, et en quelques phrases parlées puis dansées nous touchent en plein cœur à travers leurs histoires, parfois drôles, tragiques ou bouleversantes. Un danseur raconte ainsi avoir perdu son œil gauche à 6 ans et se met soudain à interpréter un solo époustouflant les yeux bandés, sur la tête et les mains… Elizabeth Gahl confie avoir dansé des heures, petite, lorsque son frère répétait son piano et se met à jouer le prélude de Bach sur un clavier à l’avant-scène pendant que Dafra Keita se laisse aller à une danse rythmée. Les deux artistes entament un vrai dialogue par la musique et la danse et Dafra Keita joue des percussions rythmées pendant qu’Elizabeth Gahl prend le relais sur ses pointes, tout en légèreté, sourire aux lèvres.
Les danseurs montrent leurs failles, leurs échecs parfois, leurs différences, qui ont jalonné leurs carrières : « on m’a dit que j’étais trop grosse » ; « on m’a dit que j’étais trop petite » ; « on m’a dit que j’allais être pauvre » ; « je me suis brisé le coude et aujourd’hui je suis fier de danser sur mes coudes ». Toutes ces remarques sont ici utilisées comme des forces, au service d’une chorégraphie affirmée, joyeuse, éclatante. Les danseurs et danseuses utilisent avec fierté, comme des atouts, ce qui a pu leur être reproché. Et ce, toujours avec humour, tendresse et bienveillance. Plusieurs danseuses enlèvent un instant leurs hauts pour danser seins nus, à la suite de l’histoire de Beatriz Santiago à qui on avait reproché avoir de gros seins. La chorégraphie est douce, enlevée et drôle, et a toujours pour message l’acceptation de tous les corps. Sur l’écran sont alors projetés plusieurs tableaux de poitrines féminines. Le second degré – permis notamment par les diffusions à l’écran – est toujours là pour adopter une distance nécessaire avec les thèmes abordés.
Puis subitement un éléphant apparaît à l’écran. Et vient le tour des imitations (remarquables !) d’animaux en tous genres par deux danseurs sous les yeux et commentaires ébahis de Dafra Keita qui tente en vain de les imiter. Cette scène très drôle montre la qualité de ce spectacle pluridisciplinaire où les imaginaires de chacun viennent se confronter, se compléter avec intelligence et bonheur.
Le spectacle prend ensuite une tournure plus grave : lors d’un duo lyrique d’un couple de danseurs sont projetées sur l’écran des vidéos d’animaux dans des océans de plastique, de chantiers et travaux ou encore dans des buildings. Cette séquence écologique aux images de fin du monde rompt avec l’esprit léger et joyeux. Le message d’espoir transmis pendant tout le reste du spectacle disparaît un instant. Tout semblait possible sur scène et l’on assiste soudain la disparition prochaine des espèces animales. Difficile de comprendre pourquoi José Montalvo a souhaité insérer un message écologique de la sorte à la fin de Gloria qui était jusqu’alors une célébration de la vie, de la couleur et de la diversité. Le propos semble ici décalé mais mise à part cette séquence moins cohérente, le spectacle est une véritable réussite et allie prouesse chorégraphique, scènes théâtrales émouvantes ou tordantes.
La scène finale transforme le spectacle en comédie musicale réellement comique : les danseurs montrent tous leurs nombrils (projetés sur l’écran également de manière psychédélique) en chantant « je suis le nombril du monde », mettant en scène avec second degré l’égocentrisme humain. Une chorégraphie séquencée sur ces mots (à la manière des farandoles de Pina Bausch) clôture le spectacle. Au bout de quelques rappels, la danseuse Rosa Herrador (au charisme éblouissant !) propose au public de chanter et danser « le nombril du monde ». Le public aussi conquis qu’amusé joue le jeu jusqu’au bout, avant d’ovationner une dernière fois la compagnie.