Sept années se sont écoulées depuis le dernier passage du Camerata RCO à la Salle Bourgie – « sept années qui n’ont pas effacé le souvenir d’une très agréable soirée », nous assurait dans son allocution le violoniste Marc Daniel van Biemen. Ce mardi, le public montréalais est venu accueillir en grand nombre l’ensemble de l’Orchestre royal du Concertgebouw.

Camerata RCO and Geoffroy Salvas
© Pierre Langlois

Parmi les facteurs de réussite de la soirée, on peut invoquer un programme très bien conçu, qui happe l’auditoire dès le départ, ravive ponctuellement son attention et le laisse sur une bonne note — avec au surplus un soin de la symétrie. C’est en effet le comique qui lance le concert (La revue de cuisine de Martinů dépeint les mésaventures sentimentales d’un chaudron, d’un couvercle et d’un fouet, entre autres ustensiles) et qui le conclut (Le bal masqué de Poulenc est une « cantate profane » sur des poèmes abracadabrants de Max Jacob). Entre les deux sont intercalés des trios dont la diversité tient l’auditoire en éveil : L’invitation au château pour violon, clarinette et piano de Poulenc (d’après la pièce de théâtre éponyme de Jean Anouilh), le Trio n° 2 pour violon, violoncelle et piano de Joaquín Turina (où le post-romantisme s’émaille d’éléments espagnols et impressionnistes) et le Trio pour hautbois, basson et piano de Poulenc (gouailleur et mozartien par endroits).

La revue de cuisine, aux mains du Camerata RCO, verse dans la drôlerie. Le Tango, un peu mou, donne l’impression amusante que les danseurs sont ivres. La trompette y est par ailleurs sublime, avec un jeu plein d’aspérités et d’accents. Dans L’invitation au château qui suit, si quelques choix interprétatifs surprennent — pourquoi, par exemple, dans l’Acte 1, appuyer au piano la dernière note d’une phrase frêle et lunaire, qui appelle un toucher atténué ? —, on apprécie les vibratos extraordinairement serrés du violon et les dynamiques très sensibles à la clarinette, qui servent bien le côté fleur bleue de la partition.

Les musiciens, dans le Trio n° 2 de Turina, font le choix de tempos plus modérés que pressés, ce qui libère le potentiel expressif. Le violon surtout en tire avantage avec un jeu lyrique, voire impétueux. On se plaît à l’écouter se tapir dans l’ombre — avec un son toujours concentré, tendu — puis bondir brusquement, en jetant des lignes puissantes, déterminées. On note aussi d’habiles effets de contraste (le très beau chant du piano, brillant nettement au-dessus des trémolos à demi-effacés et menaçants des cordes dans le second mouvement). Quant au trio de Poulenc, c’est la synergie des instruments qui le démarque. Aux mélodies doublées, les timbres fusionnent parfaitement. Et les effets comiques sont très réussis : le basson pousse ses graves avec une jolie complaisance, tandis que le hautbois secoue ses trilles de façon amusante, vivante, comme un canard qui s’ébroue sur la rive.

Enfin, dans Le bal masqué, l’orchestre est piquant, amusé, sarcastique, comme on l’espère. Mais le grand succès du morceau et la gaieté qu’il insuffle au public, c’est au baryton Geoffroy Salvas qu’on les doit. Avec une prononciation parfaite, des explosions de volume et des chuchotements contrôlés, il exécute mille bouffonneries (moues, bouches béantes, roulements de yeux, sourcils froncés, etc.) qui ravissent l’assistance.

Le public n’a laissé repartir les musiciens qu’après de longues ovations. Ce nouveau succès devrait, lui aussi, rester longtemps en mémoire — espérons seulement qu’il engage l’ensemble néerlandais à revenir un peu plus tôt cette fois !

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