Qui a dit que la vie était un long fleuve tranquille dans le monde de la musique ? Nombre de cinéastes ont affiché le quotidien peu banal des musiciens sur grand écran : jeune élève en apprentissage, professeur ou artiste international, soliste ou orchestre… En attendant que la vie musicale reprenne son cours, je vous propose de vous tourner vers le cinéma et de démêler le vrai du faux de quelques films portant sur la musique classique, entre stéréotypes fantasmés et réalités fondées.
Avant de devenir musicien professionnel, il faut bien entendu passer par un long apprentissage de l’instrument, le plus souvent en école de musique ou en conservatoire jusqu’au niveau universitaire. Le cinéma a beaucoup mis en scène la relation qu’entretiennent professeur et élève, un lien si spécifique en musique tant la rencontre avec un maître peut bouleverser le parcours d’un jeune artiste. Cette relation peut être tumultueuse voire toxique comme dans Whiplash (Damien Chazelle, 2014) où le redouté Terrence Fletcher pousse à bout un élève prometteur, repéré un soir depuis l’autre bout du couloir – chose qui n’arrive que très rarement dans la vie réelle. Fletcher intègre ensuite rapidement son poulain au meilleur orchestre du conservatoire et se montre sans pitié à son égard, dans l’espoir de le pousser à bout pour que celui-ci se dépasse toujours plus. Mais le degré de harcèlement est tel qu’il paraît peu réaliste aujourd’hui ! Plus crédible est le passage de l’incompréhension mutuelle au lien fort, fait d’admiration mutuelle, que l’on peut trouver dans Au bout des doigts (Ludovic Bernard, 2018).
La figure du professeur de musique a été représentée différemment suivant les films. On s’attachera peu au personnage peu investi, désagréable et obnubilé par des problèmes personnels (son avarice maladive) du professeur de violon joué par Dany Boon dans Radin (Fred Cavayé, 2016) – même si de tels « pédagogues » existent ! On préfèrera la très patiente et méthodique professeure de piano d’un Romain Duris qui vient à s’énerver facilement face à une fugue redoutée de Bach dans De battre mon cœur s’est arrêté (Jacques Audiard, 2005). Hors catégorie, la professeure de piano du conservatoire de Vienne dans La Pianiste (Michael Haneke, 2001), pédagogue respectée jusqu’à l’arrivée d’un jeune élève qui vient semer le trouble dans sa vie privée et dans sa classe…
Si le travail individuel quotidien représente une large partie de la vie du musicien, les répétitions en orchestre ou en musique de chambre constituent l’autre facette du métier. Ces moments de préparation des concerts ont été utilisés pour maintenir en tension bien des films, à commencer par le fascinant Prova d’orchestra (Federico Fellini, 1979) mis en musique par le grand Nino Rota. Dans ce bref long métrage entièrement dédié à une séance de répétition d’orchestre, on peut déambuler au sein d’un joyeux bazar entre les différents instruments, chacun se targuant d’avoir le plus bel instrument de l’orchestre – ce qui n’est pas si loin de la réalité puisqu’il est de bonne guerre d’adopter un certain chauvinisme instrumental devant ses pairs. C’est un film à ne pas manquer, qui vaut nombre de livres sur la musique. Mais les répétitions ne sont pas toujours aussi gaies, en atteste le fameux « c’était pas mauvais c’était très mauvais » conspué par un Stanislas Lefort plus que crédible tant musicalement qu’humainement en chef caractériel face aux vrais musiciens de l’Opéra de Paris dans La Grande Vadrouille (Gérard Oury, 1966) : les légendaires colères d’un Toscanini ne sont pas bien loin.
Malgré cette réplique culte de Louis de Funès, il se peut qu’en répétition l’interprétation atteigne des sommets, parfois plus qu’au concert, les musiciens étant tout aussi concentrés, le stress en moins. Ce n’est pas la trompettiste qui bouleverse les musiciens d’un petit orchestre d’harmonie de l’Angleterre minière dans Les Virtuoses (Mark Herman, 1996) qui dira le contraire. D’abord sceptiques à l’idée d’entendre une femme tenir la partie de soliste, ils sont petit à petit gagnés par l’émotion devant ce qu’ils entendent, la caméra montrant chacun d’eux lever leurs yeux des partitions et être happés par le son et la musicalité de la trompettiste. Toutes les répétitions ne sont cependant pas idylliques et elles peuvent même virer au cauchemar, comme pour la hautboïste Hailey Rutledge, humiliée par sa collègue de pupitre dans la série Mozart in the jungle (Roman Coppola, 2014-2018). Si la scène paraît exagérée, elle comporte un fond de vérité tant la pression du jugement venant de ses collègues peut être difficile, surtout en tant que supplémentaire (membre non titulaire de l’orchestre) ou lors d’une première lecture de l’œuvre. Avec ses éternels recommencement, ses moments de complicité et de proximité physique, la répétition constitue un haut lieu de tension relationnelle au sein d’un groupe, bien au-delà de la seule mise au point musicale. Ainsi fait-elle figure de leitmotiv autour duquel les personnages du film se découvrent, s’observent et se raccrochent dans Un cœur en hiver (Claude Sautet, 1992), où une violoniste (Emmanuelle Béart) et son luthier (Daniel Auteuil) se rencontrent sur fond d'œuvres de Maurice Ravel.
Une fois les répétitions terminées, il faut affronter la scène lors du concert. Figurant généralement en point d’orgue de la narration au cinéma, il est là encore représenté et imaginé de différentes manières par les réalisateurs. Il peut apparaître comme le climax du film, tel un dénouement en forme de délivrance pour le pianiste interprété par Albert Dupontel dans Fauteuils d’orchestre (Danièle Thompson, 2006) : si vous êtes en manque de concert, celui-ci est magnifiquement filmé et assez réaliste pour ce qui est de l’exécution instrumentale dans L’Empereur de Beethoven. Mais on notera qu'une œuvre semble particulièrement appréciée des cinéastes pour les scènes de concert, tant pour sa popularité que ses effets virtuoses impressionnants : le Concerto pour violon de Tchaïkovski. On l’entend ainsi interprété les larmes aux yeux par le soliste de L’Enfant au violon (Chen Kaige, 2002). Il figure aussi au programme du concert au théâtre du Châtelet dans Le concert (Radu Mihaileanu, 2009), quoique la machine orchestrale mette du temps à démarrer et que le jeu de violon de Mélanie Laurent paraisse, contrairement à celui d’Albert Dupontel, bien peu réaliste.
Enfin, les réalisateurs utilisent l’atmosphère souvent grandiloquente et le cadre luxueux du concert pour rehausser ou mettre en contraste des éléments du scénario. On appréciera l’écho comique au fameux coup de cymbales de L’Homme qui en savait trop (Alfred Hitchcock, 1956) dans Le Grand Blond avec une chaussure noire (Yves Robert, 1972) : perturbé par des éléments exogènes au concert, le pauvre percussionniste « Maurice » (Jean Carmet) se montre plutôt intrusif dans un remix piteux de la Symphonie n° 40 de Mozart. Le concert tient lieu d’une ingénieuse mise en abyme, apportant une nouvelle dimension au spectacle cinématographique. On en oublierait presque son atmosphère très codifiée… L’amusement d’Omar Sy, néophyte très terre à terre qui rit aux éclats devant les costumes colorés et les voix lyriques dans Intouchables (Eric Toledano et Olivier Nakache, 2011), vient nous la rappeler. Cette scène n’est pas si éloignée de la réalité pour qui a déjà emmené une personne à l’opéra pour la première fois !
On l’aura compris : les musiciens classiques sont largement représentés au cinéma et sous des formes très diverses. Qu’il soit l’objet principal du film, qu’il serve de cadre à une action ou qu’il apporte ses caractéristiques bien particulières, le musicien classique n’est jamais neutre au cinéma… Après un été encore tronqué par le coronavirus, souhaitons de pouvoir bientôt retrouver ces personnages hauts en couleur dans nos salles de concert et autres opéras !