Violoniste amateur passionnée par le répertoire des compositrices, Clara Leonardi a fondé ComposHer, une plateforme consacrée aux femmes dans la musique classique. C'est cette thématique qu'elle aborde pour Bachtrack dans sa chronique mensuelle « Les Variations de Clara ».

Clara Leonardi
© DR / Bachtrack

Comme chaque année à l’approche de Noël, les playlists de saison ont envahi les plateformes de streaming. Christmas carols anglais ou chants religieux peu à peu sécularisés, certains de ces titres sont devenus de véritables tubes, grâce notamment à des interprètes de renom – on pense à Tino Rossi pour le célèbre Petit Papa Noël. Pourtant, l’univers des chants de Noël ne se limite pas à ces quelques pièces : depuis le XIXe siècle, les compositrices aussi s’attellent à l’écriture de ces œuvres de circonstance, dont certaines ont acquis le statut de standard. Petite histoire de quelques-uns de ces airs qui vous permettront de sortir du triptyque Jingle BellsPetit Papa NoëlDouce Nuit...

Entre romantisme et folklore : l’école suédoise

De la fin du XIXe siècle au début du XXe, la Suède voit émerger une multitude de compositrices particulièrement prolifiques. Comme Elfrida Andrée, première femme à occuper un poste d’organiste professionnelle en Suède, elles sont bien sûr des instrumentistes de renom, mais elles s’attaquent également à la composition et notamment à des formes de grande ampleur comme la symphonie ou le concerto.

Or il se trouve qu'en Suède Noël est entouré de riches traditions, notamment religieuses : outre la fête du 25 décembre, la Sainte-Lucie, célébrée le 13 décembre, donne lieu à des processions dans tout le pays, durant lesquelles une jeune fille vêtue de blanc incarne la sainte en portant une couronne de bougies.

Rien d’étonnant donc à ce que les plus célèbres des compositrices suédoises aient abondamment écrit pour célébrer ces grandes occasions. Bethlehem stjarna (« L’étoile de Bethléem »), composé par Alice Tegner en 1893 et souvent enregistré en Suède, est notamment chanté lors des festivités de la Sainte-Lucie. Sa douce mélancolie vient de l’alternance constante entre des harmonies mineures et majeures.

C’est à la lumière de cette même étoile, mais aussi à la lumière des bougies en tant que symbole de l’harmonie du foyer que fait référence Nu tändas tusen juleljus (que l’on pourrait traduire par « Mille bougies de Noël sont maintenant allumées »), mis en musique en 1898 par la compositrice Emmy Köhler. La douceur de l’atmosphère du foyer se réincarne par ailleurs au piano chez Elfrida Andrée – accompagnée d’une pointe de mélancolie – dans sa Julstämning (« Rêverie de Noël »).

Les compositrices françaises : entre espièglerie et recueillement

La fin du XIXe siècle est une période marquée par le succès de plusieurs compositrices en France, parmi lesquelles Cécile Chaminade et Mel Bonis. De la première, on ne connaît guère aujourd’hui que le Concertino pour flûte, oubliant son importante production pour piano, dont un Concertstück avec orchestre, reflet de son incroyable carrière internationale en tant que concertiste. Elle composa également une quantité impressionnante de mélodies, parmi lesquelles ce Noël des oiseaux, ici interprété par Anne-Sofie von Otter, qui allie à un caractère religieux (« petit Jésus, maître du ciel ») une espièglerie tout enfantine (« viens donc voir les petits oiseaux »).

Bien que la mélancolie soit plus perceptible dans le Noël de la Vierge Marie de Mel Bonis, les références à l’enfance y sont également présentes, puisque le sujet de la nativité est ici abordé du point de vue des sentiments maternels du personnage biblique de la Vierge Marie. Ce texte pieux ne surprend pas chez Mel Bonis, puisque la religion occupe un aspect important de l’œuvre de cette compositrice prolifique (à l’origine de nombreuses pièces pour piano, d’un vaste répertoire de musique de chambre et de quelques suites pour orchestre), qui consacra la fin de sa vie à la musique d’église.

Les Christmas carols anglo-saxons

Élément essentiel des fêtes de fin d’année au Royaume-Uni, les Christmas carols, ces chansons festives à connotation plus ou moins religieuse, ont été réinterprétées à de nombreuses reprises, au point de figurer aux côtés d’œuvres plus classiques dans le répertoire des ensembles vocaux. Peut-être parce que ces pièces étaient en partie destinées à des chœurs d’enfants, les compositrices anglo-saxonnes ont particulièrement exploité les possibilités qu’elles offraient, le répertoire pédagogique étant l’un de ceux auxquels les compositrices ont eu le plus aisément accès durant les siècles passés.

L’un des plus célèbres d’entre eux, The Little Drummer Boy (« L’enfant au tambour »), est l’œuvre de la compositrice Katherine Davis : cette professeure de musique américaine, qui étudia entre autres auprès de Nadia Boulanger, est l’autrice de plus de six cents pièces, largement destinées à ses élèves. Composé en 1941, The Little Drummer Boy devint célèbre après avoir été interprété par la Harry Simeone Chorale en 1958 – il monta même au sommet du hit-parade ! Il figure donc sans surprise au répertoire des King’s Singers.

Sans atteindre le même degré de notoriété, l’hymne Jesus Christ and the Apple Tree, poème du XVIIIe siècle mis en musique au XXe siècle par la compositrice anglaise Elizabeth Poston, figure au répertoire de nombreux ensembles britanniques, comme ici les Cambridge Singers. Le texte de ce carol fait notamment référence au symbole du pommier dans le Nouveau Testament, censé représenter le Christ : « The trees of nature fruitless be / Compared with Christ the Apple Tree ».

Le revival des ensembles vocaux anglais

La riche tradition des ensembles vocaux britanniques est particulièrement vivace aujourd’hui : des King’s Singers à Voces8, de nombreux groupes de chanteurs se sont engagés sur le terrain du chant a cappella. Outre la réinterprétation de pièces célèbres issues du répertoire classique ou de la chanson, ces ensembles sont nombreux à accorder une place particulière à la création contemporaine… Et à sortir, quasiment chaque année, un album à l’occasion des fêtes de fin d’année, consacré à des carols ou simplement à des chansons évoquant l’hiver. Ces albums sont donc l’occasion de passer des commandes, ou tout du moins d’explorer un répertoire contemporain moins célèbre, qui enrichit et complexifie celui des chants de Noël. Ils permettent aussi, tout simplement, de donner un espace d’expression à de nouveaux artistes, et donc à de nouvelles compositrices.

Les sonorités du chœur a cappella se prêtent à merveille à des pièces méditatives et suspendues, à connotation religieuse : ainsi, O Oriens, de Cecilia McDowall (2012), ici interprété par le Choir of St John’s College de Cambridge, est construit sur le texte d’une antienne chrétienne de l’Avent (« O Soleil levant, splendeur de justice et lumière éternelle, illumine ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, viens, Seigneur, viens nous sauver ! »). L'œuvre oppose les ténèbres qui naissent des harmonies dissonantes de McDowall au texte, centré sur le Christ comme porteur de lumière.

Cette dualité entre lumière et obscurité se retrouve dans Winter de Rebecca Dale, issu de l’album de Voces8 du même nom. Entre autres connue pour sa musique de film, la compositrice use d’une écriture très imagée qui évoque tantôt une certaine lumière hivernale, tantôt un ciel plus sombre (« As shards of dancing crystal fly / Across the dim and icy sky »).

Entre lumière et ténèbres, les compositrices contemporaines avaient anticipé d'une certaine façon l’atmosphère d’incertitude qui plombe les festivités de ce mois de décembre si particulier. Si la situation sanitaire empêchera exceptionnellement, en ces fêtes de fin d’année, de pousser en chœur la chansonnette, profitons-en pour découvrir ce répertoire méconnu sur des enceintes ou dans ses écouteurs !