Violoniste amateur passionnée par le répertoire des compositrices, Clara Leonardi a fondé ComposHer, une plateforme consacrée aux femmes dans la musique classique. C'est cette thématique qu'elle aborde pour Bachtrack dans sa chronique mensuelle « Les Variations de Clara ».

Clara Leonardi
© DR / Bachtrack

Les salles rouvrent et l’effervescence des concerts reprend partout en France. Du 19 mai au début du mois de juillet, il reste un peu plus d’un mois avant la pause estivale pour admirer les chefs d’orchestre les plus passionnants du moment. Mais où sont les femmes ? Petit tour d’horizon des cheffes à voir et entendre ces prochaines semaines, des jeunes prodiges aux talents confirmés.

Oksana Lyniv

Elle sera, cet été, la première femme à diriger à Bayreuth : la cheffe ukrainienne Oksana Lyniv prendra la tête du prestigieux Orchestre du Festival dans un Vaisseau fantôme mis en scène par Dimitri Tcherniakov. Rarement invitée en France, elle est plus connue en Allemagne : formée notamment à l’Académie de musique de Dresde, elle a été l’assistante de Kirill Petrenko au Bayerische Staatsoper de Munich. Elle a fait ses armes dans les plus grandes salles européennes, du Liceu de Barcelone au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, et finalement pris la direction musicale de l’Orchestre Philharmonique et de l’Opéra de Graz en 2017. A l’Opéra de Paris, elle dirigera les 6, 9 et 12 juin un programme autour de Tchaïkovski, qui rassemblera des extraits de Iolanta, Eugène Onéguine et La Dame de pique. Ce sera pour elle l’occasion de retrouver la soprano Asmik Grigorian, également à l’affiche à Bayreuth.

Oksana Lyniv
© Astrid Ackermann / BRSO

Debora Waldman

Autre région, autre précurseure : Debora Waldman est la première femme à avoir été nommée directrice musicale d’un orchestre français labellisé « orchestre national en région ». Après plusieurs années auprès de Kurt Masur en tant que cheffe assistante de l’Orchestre National de France, puis une carrière assez internationale qui l’a amenée à diriger en Colombie ou en Afrique du Sud, elle a pris la tête de l’Orchestre National Avignon Provence en septembre 2020. Si les circonstances ne lui ont pas permis d’échanger avec le public tout au long de l’année, la cheffe a déjà entraîné ses musiciens dans un projet atypique, « Un temps pour elles », lancé au printemps 2021, qui met en avant des œuvres symphoniques de compositrices à travers de courtes vidéos explicatives et musicales. Un intérêt pour le répertoire méconnu des compositrices qui l’amènera également à diriger le concert « Femmes de légende » de l’Orchestre National de France, le 1er juillet prochain à la Maison de la Radio. À Avignon, on retrouvera Debora Waldman pour un premier concert en public dès le 28 mai, à l’Opéra Confluence, où elle partagera l’affiche avec le pianiste Nicholas Angelich dans le célèbre Concerto « Egyptien » de Saint-Saëns et la Symphonie n° 5 de Mendelssohn.

Debora Waldman
© Manuel Gouthière

Marzena Diakun

Si elle est également passée par Radio France (en tant que cheffe assistante de Mikko Franck, de 2015 à 2016), la cheffe polonaise Marzena Diakun mène aujourd’hui une carrière internationale ; elle est notamment directrice artistique de l’Orchestre de la Comunidad de Madrid. Cela ne l’empêche pas de revenir régulièrement en France, notamment pour diriger l’Orchestre de chambre de Paris, dont elle est depuis 2020 la première cheffe invitée. C’est cet orchestre qu’elle retrouvera pour un concert-déjeuner le 27 mai au Théâtre du Châtelet, pour interpréter entre autres une chanson de Betsy Jolas – compositrice contemporaine sacrée cette année aux Victoires de la Musique classique. Marzena Diakun célébrera également, le 20 mai à l’Arsenal, les retrouvailles de l’Orchestre National de Metz avec son public, autour de la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski.

Marzena Diakun
© Łukasz Rajchert

Barbara Hannigan

En parallèle d’une prestigieuse carrière de soprano, qui l’a amenée à embrasser le répertoire lyrique contemporain et à participer à des créations de George Benjamin ou Michael Jarrell, Barbara Hannigan a commencé à diriger dans les années 2010. Après avoir fondé son propre orchestre, le Ludwig Orchestra, elle est devenue, elle aussi, familière de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, qu’elle a notamment dirigé – tout en chantant – dans La Voix humaine de Poulenc en janvier dernier, dans une performance atypique mariant sa voix à une installation vidéo. Elle retrouve ces musiciens le 28 mai à la Philharmonie de Paris, dans un programme cette fois centré sur l’opérette, qui marie le ballet Pulcinella de Stravinsky à Jacques Offenbach et Kurt Weill.

Barbara Hannigan
© Musacchio & Ianniello | Accademia Nazionale di Santa Cecilia

Zahia Ziouani

La Philharmonie accueillera également Zahia Ziouani à la tête de son Orchestre Symphonique Divertimento, le 13 juin prochain. Formée à Munich auprès de Sergiu Celibidache, la cheffe française fait partie des nombreuses pionnières de la direction qui ont choisi, une fois revenues en France, de fonder leur propre ensemble : en 1998, elle crée donc l’Orchestre Symphonique Divertimento, basé en Seine-Saint-Denis. Un orchestre qui défend un positionnement original, au croisement de la musique classique et des musiques du monde, et place la pédagogie et l’ouverture au centre de sa programmation. Bel exemple de ces valeurs avec ce concert « Danses symphoniques » qui permettra aux élèves de l'Académie Divertimento, intégrés à l’orchestre, d’interpréter des pièces de Bizet, Moussorgski ou Grieg sur la scène de la Philharmonie (1).

Zahia Ziouani
© Christophe Fillieule

Silvina Peruglia

Les concerts participatifs ont le vent en poupe : Silvina Peruglia intègrera non des élèves de conservatoire, mais des chorales de collégiens au concert « Victor, Emile et la baronne », un conte musical composé par Isabelle Aboulker et donné à l’Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand le 11 juin. Si l’on peut regretter que l’une des rares occasions d’entendre les œuvres d’une compositrice dirigées par une cheffe soit un concert jeune public – exercice auquel les femmes sont trop souvent cantonnées –, la jeune artiste hispano-argentine, formée à Genève, pourra prendre ses marques avec l’Orchestre National d’Auvergne, après avoir dirigé ces dernières années l’Orchestre Régional de Normandie, l’Orchestre Victor-Hugo Franche-Comté ou l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine. A suivre…

Silvina Peruglia
© Yves Petit

Corinna Niemeyer

C’est une saison particulière qui s’achève pour Corinna Niemeyer : après deux ans en tant que cheffe assistante de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, elle a été nommée en septembre 2020 à la tête de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg, mais n’a guère profité de son nouveau poste en cette année de fermeture des salles de concert. Elle aura tout de même fait ses débuts avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France en octobre dernier, et avec l’Orchestre des Pays de la Loire, le 9 juin prochain à Angers et le 12 juin à Nantes : le concert jeune public « La première fois que je suis née » mariera musique – de Marc-Olivier Dupin – et projections pour illustrer la vie d’une femme, de sa naissance à son premier enfant, et interroger la notion de transmission.

Corinna Niemeyer
© Simon Pauly

Claire Gibault

La transmission est au cœur du travail de Claire Gibault : cheffe d’orchestre militante, elle a travaillé avec Claudio Abbado, est devenue la première femme à diriger les musiciens de La Scala ou ceux des Berliner Philharmoniker, avant de revenir en France fonder son propre ensemble, le Paris Mozart Orchestra. Celui-ci s’implique aujourd’hui dans l’ouverture de la musique à tous les publics, en proposant en particulier des projets d’éducation artistique en milieu scolaire REP. Profondément engagée dans le combat pour l’égalité hommes-femmes sur les podiums, Claire Gibault codirige, avec Laurent Bayle, le concours La Maestra, organisé à la Philharmonie de Paris en septembre dernier, et donne régulièrement l’occasion à de jeunes cheffes de diriger son orchestre : on pourra ainsi la voir prodiguer ses conseils lors d’une masterclass le 10 juin prochain Salle Rossini à Paris.

Claire Gibault
© Gilles Mermet

Laurence Equilbey

Aujourd’hui également à la tête de son propre orchestre, Laurence Equilbey est quant à elle passée par la direction de chœur : ce n’est qu’après avoir connu le succès avec accentus, puis le Jeune Chœur de Paris, qu’elle crée, en 2012, Insula Orchestra, dont elle est toujours la directrice musicale. Très impliquée dans la programmation de la Seine Musicale depuis la création de l’établissement en 2017, elle y développe notamment des projets transdisciplinaires qui mêlent musique et arts visuels – comme La Création de Haydn, en 2017, avec la collaboration du réalisateur Carlus Padrissa. Les 19 et 20 mai, c’est Antonin Baudry qui sera aux manettes de l’animation vidéo du concert « Schumann – La nuit des rois », construit comme une grande fresque réunissant les dernières ballades du compositeur, à mi-chemin entre conte et thriller politique.

Laurence Equilbey à La Seine musicale
© Julien Benhamou

Karina Canellakis

Conclusion en fanfare pour la saison de Karina Canellakis : la cheffe américaine fera ses débuts au Festival de Saint-Denis le 24 juin prochain. Diplômée du Curtis Institute et de la Juilliard School, sa carrière de violoniste débute à l’Académie de l’Orchestre Philharmonique de Berlin ; mais Simon Rattle l’encourage à poursuivre dans la voie de la direction d’orchestre. Pari tenu : elle est aujourd’hui première cheffe invitée du London Philharmonic Orchestra et du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, et directrice musicale de l’Orchestre Philharmonique de la Radio Néerlandaise. Un temps pressentie comme directrice musicale de l’Orchestre de Paris, c’est finalement l’Orchestre National de France qu’elle retrouvera à Saint-Denis pour un programme germanique réunissant Wagner, Strauss et Brahms.

Karina Canellakis
© Mathias Bothor


(1) Une version précédente de l'article évoquait des élèves des conservatoires d'Île-de-France qui ne font finalement plus partie de la distribution [note du 21 mai 2021].