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Comment gérer le plus grand opéra numérique d'Europe

Par , 22 mars 2023

« Mon principal travail consiste à rassembler les gens et à les convaincre que la sélection des productions est exactement la bonne », explique Veronka Köver, cheffe de projet de la Saison ARTE Opera et responsable du plus grand opéra numérique d'Europe.

Guerre et Paix mis en scène par Dmitri Tcherniakov au Bayerische Staatsoper
© Wilfried Hösl

Avec 23 maisons d'opéra et festivals partenaires issus de 14 pays, l'objectif d'ARTE depuis 2018 est « d'offrir des captations librement accessibles en streaming dans toute l'Europe. Grâce à un programme de financement de la Commission européenne, les captations peuvent être sous-titrées dans six langues différentes, ce qui nous permet de toucher 70% des Européens dans leur langue maternelle. »

Lorsque je l'interroge sur le processus de sélection des productions qui seront diffusées dans le cadre de la Saison ARTE Opera, Veronka Köver s'extasie : « on a l'impression d'être un enfant dans un magasin de bonbons ! Contrairement à d'autres plateformes de streaming, l'objectif n'est pas seulement de sélectionner les meilleures productions, mais de "les faire dialoguer les unes avec les autres".

« Nous ne voulons pas nous contenter d'être un simple conglomérat, détaille Veronka Köver, il s'agit d'une saison bien conçue. Nous voulons créer un arc et raconter une histoire. Pour ce faire, nous créons un bouquet à partir d'un éventail de productions, allant des nouvelles découvertes aux petites douceurs du répertoire. Mais nous choisissons aussi délibérément de mettre l'accent sur des points particuliers. Cette saison, par exemple, nous avons la soprano française Julie Fuchs, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov et plusieurs opéras basés sur Shakespeare. »

Au moment de notre entretien, les préparatifs battent leur plein pour la prochaine production : Guerre et Paix de Prokofiev dans une production de Dmitri Tcherniakov, sous la direction de Vladimir Jurowski au Bayerische Staatsoper. Présenter cette production dans le contexte de la situation politique mondiale est « un défi, mais aussi une opportunité. L'interview diffusée pendant l'entracte montre comment Tcherniakov et Jurowski se sont battus avec l'idée de mettre en scène cet opéra en 2023 et ce qui les a motivés à le faire. Je pense que montrer un tel opéra dans toute l'Europe aujourd'hui est également une des missions d'ARTE. »

Kateryna d'Alexander Rodin, à l'Opéra d'Odessa
© Odessa Opera

À l'occasion de l'anniversaire du début de la guerre, ARTE a diffusé une production de l'opéra Kateryna du compositeur ukrainien Alexander Rodin, dont la création a eu lieu à l'opéra d'Odessa en septembre 2022 : « c'était la toute première fois, dans ce qui est maintenant notre cinquième saison, que nous présentions une production d'une maison qui n'est pas un partenaire permanent de la saison. Mais cela montre aussi la solidarité du secteur et les liens étroits entre les maisons d'opéra, car tous les partenaires étaient convaincus que c'était la bonne chose à faire. »

Dans ce cas précis, être flexible était important. La réalisation de chaque captation est toujours « un gros travail de planification, de coordination et de production, impliquant des dizaines de personnes. C'est une tâche incroyablement passionnante et parfois vous ne savez que quelques instants à l'avance comment tous les petits détails – minimes pour les téléspectateurs, mais d'une grande importance pour nous – seront finalement mis en œuvre ». En définitive, le public ne devrait cependant pas remarquer cette énorme quantité de travail en arrière-plan. « La magie et l'enchantement de l'opéra doivent rester intacts. »

Veronka Köver
© Pauline Caplet

Pour rendre cet enchantement facilement accessible, ARTE adopte différentes approches. Il y a « des captations en direct qui sont diffusées en simultané à la télévision, d'autres qui le sont uniquement sur le web, et des vidéos à la demande », explique Veronka Köver. Elle explique comment est prise la décision de diffuser une performance en direct ou à la demande. « Plus tard dans la saison, par exemple, nous avons un projet très excitant et audacieux de La Monnaie / De Munt à Bruxelles, dans lequel les quatre opéras élisabéthains de Donizetti sont réunis en deux soirées sous le nom de Bastarda!. Comme il s'agit d'un réarrangement de ces opéras, il est logique de présenter ce projet en vidéo à la demande, afin que la dramaturgie inhérente à cette production puisse être appréciée à sa juste valeur. »

Dans d'autres cas, cependant, la diffusion en direct est le meilleur choix – il y a « évidemment une certaine magie dans l'expérience en direct que vous pouvez également ressentir en tant que spectateur en ligne ». Les confinements de 2020 et 2021 ont certainement joué en faveur d'ARTE Opera. « Les maisons partenaires ont lancé leurs propres activités de streaming à la suite de la pandémie. C'était un moyen de rester en contact avec le public malgré les portes fermées.

Andrey Zhilikhovsky dans Guerre et Paix au Bayerische Staatsoper
© Wilfried Hösl

« Après la réouverture, de nombreuses maisons ont réalisé qu'il était difficile et coûteux de fidéliser le public par leurs propres moyens. La Saison ARTE Opera est devenue un partenaire idéal, car nous ne sommes pas seulement une plateforme à laquelle ils fournissent leur contenu, mais nous sommes aussi un réseau. L'Opéra national de Finlande, par exemple, diffuse désormais des captations d'autres partenaires sur sa propre plateforme – les maisons ne se livrent pas une concurrence féroce, nous travaillons tous dans le même sens. »

Veronka Köver souligne également la collaboration en confiance et les excellentes relations de travail entre les différents partenaires et ARTE, ce qui permet de s'organiser avant même que les maisons d'opéra ne présentent leurs saisons. Cette forme de coopération étroite permet de « connaître les partenaires, leurs points forts et leurs particularités ; on sait quelles productions de quelle maison sont particulièrement intéressantes et dans quelle mesure elles peuvent séduire un public européen. »

En effet, l'un des objectifs est d'élargir encore cette dimension européenne. La saison n'est pas uniquement destinée aux pays-cibles classiques d'ARTE – l'Allemagne et la France – mais à l'ensemble de l'Europe et, dans certains cas, à un public mondial. Pour l'instant, il n'est pas prévu d'étendre leur travail à davantage de maisons d'opéra sous la forme de partenariats fixes, mais « nous ne l'excluons pas et dans des cas exceptionnels, comme Kateryna, il est également possible d'inclure des productions de partenaires non fixes dans notre saison. »

Kateryna d'Alexander Rodin, à l'Opéra d'Odessa
© Odessa Opera

Veronka Köver estime que la concurrence croissante sur le marché du streaming, où tous les fournisseurs « se disputent les faveurs et l'attention du public », constituera un défi pour les années à venir. « Cependant, nous nous démarquons de la concurrence en proposant un contenu unique, en sélectionnant et en disposant soigneusement les productions, non pas comme des programmes isolés, mais comme une saison qui crée un récit global. Et c'est aussi quelque chose que nous voulons développer à l'avenir. »

Dans ce contexte, une question qui importe pour Veronka Köver est de savoir comment faire en sorte que l'opéra en tant que forme artistique reste pertinent et vivant dans les années à venir : « il ne s'agit pas de faire entrer artificiellement l'opéra dans le XXIe siècle. Cependant, l'opéra ne doit pas devenir un simple projet dans une société prônant la préservation de l'histoire. Il ne s'agit pas d'une pratique muséale qui n'accorderait une place qu'aux seuls grands chefs-d'œuvre du passé. Bien sûr, ils occupent une place centrale, les canons de l'opéra appartiennent au répertoire et ne disparaîtront pas, mais si nous voulons que l'opéra ait un avenir, il doit aussi continuer à se réinventer. Cela passe, par exemple, par des commandes ou de nouveaux projets. Et beaucoup de nos maisons partenaires osent franchir ce pas ! »

Un autre aspect abordé par Veronka Köver est l'équilibre nécessaire entre conserver le public existant et constituer dans le même temps un nouveau public. Le streaming est certainement un moyen « d'abaisser les barrières pour ceux qui ne sont pas encore entrés en contact avec l'opéra, ou qui sont confrontés à des obstacles financiers, socioculturels ou locaux. C'est une question de possibilité de participation, d'inclusion. Il peut être plus facile de cliquer sur une captation que d'ouvrir la porte d'une maison d'opéra. »

Guerre et Paix au Bayerische Staatsoper
© Wilfried Hösl

Cependant, ce type de « visite » à l'opéra ne peut et ne doit pas remplacer une représentation en direct : « les deux expériences se complètent. C'est aussi l'occasion pour les maisons d'opéra de s'adresser à un public plus jeune et plus diversifié, en plus du public habituel. Cela passe par des projets participatifs et une programmation intéressante et audacieuse au cours des saisons ; et c'est précisément là que nous travaillons main dans la main avec les maisons d'opéra. »


Cer article a été sponsorisé par ARTE et traduit de l'anglais par Tristan Labouret.

“si nous voulons que l'opéra ait un avenir, il doit aussi continuer à se réinventer”