Quinze ans après le décès de Maurice Béjart, l’Opéra national de Paris remet à l’honneur le chorégraphe dans un triptyque composé de L’Oiseau de feu, Le Chant du compagnon errant et son célèbre Boléro. On ne peut que se réjouir de retrouver sur scène ces trois chefs-d’œuvre, remisés dans les placards de l’Opéra depuis plusieurs années, tous trois portés par les très belles interprétations de la nouvelle génération de danseurs de l’Opéra de Paris. Et dans le climat social actuel de révolte, ce programme teinté de la fougue contestataire des années 1960-1970 tombe aussi fort à propos.
Composé en 1970 pour l’Opéra de Paris, peu après les événements de mai 1968, L’Oiseau de feu de Maurice Béjart réinvente le ballet mythique de Michel Fokine en lui donnant une coloration à la fois plus abstraite et plus révolutionnaire. Plutôt que la partition du ballet d’origine, le chorégraphe choisit celle de la Suite de ballet (remaniée en 1945 par Stravinsky) pour proposer une version plus minimale, moins narrative, recentrée sur la brutalité rythmique mais aussi sur les beaux thèmes lugubres chantés par les cordes et les vents. Dans une mise en scène complètement dépouillée, huit danseurs vêtus de costumes de guérilleros bleus – les Partisans – apparaissent sur scène, formant une meute compacte dont le regard se fige sur le public.
Parmi eux, un Oiseau de feu en combinaison rouge se matérialise subitement, symbole de leur fièvre révolutionnaire. À travers une série de ports-de-bras et de pirouettes pleines de grâce, le danseur étoile Mathieu Ganio évoque les mouvements fantasques d’un oiseau et darde un regard aussi profond qu’étrange vers le public, tandis que les Partisans se pressent autour de lui, comme face à une idole. Le panneau en fond de scène s’ouvre alors sur un crépuscule rougeoyant et plusieurs oiseaux – danseurs vêtus du même costume rouge que l’Oiseau de feu – se coulent parmi les Partisans. Le ballet moderne s’achève sur une farandole d’oiseaux et de Partisans, formant une ligne en V, comme un envol vers l’horizon. On retrouve dans la chorégraphie minimaliste de Béjart la double symbolique entre l’oiseau et la révolution : les bras en V des oiseaux représentant les ailes mais aussi la victoire, et l’Oiseau de feu qui n’est autre qu’un phénix renaissant de ses cendres, emblème d’un nouveau jour qui se lève.
Interprété quelques semaines plus tôt lors de la soirée Hommage à Patrick Dupont, on retrouve avec plaisir le sublime pas-de-deux du Chant du compagnon errant, chorégraphié en 1971 par Maurice Béjart sur la musique de Gustav Mahler. Compagnonnage romantique ou duo plein de séduction et d’ambivalente complicité, ce dialogue entre deux hommes nous plonge une fois de plus dans l’émotion grâce à la superbe interprétation des étoiles Germain Louvet, à la grâce éthérée, et Hugo Marchand, au tempérament plus mâle et brûlant.
La soirée s’achève dans un final éclatant, avec la reprise du célèbre Boléro de Béjart, conçu en 1960 à La Monnaie de Bruxelles. Un interprète – qui peut être indifféremment féminin ou masculin – se tient debout sur une grande table ronde rouge. Un projecteur éclaire d’abord sa main, qui se met en mouvement lascivement, puis une seconde main, avant que n’émerge de l’obscurité la totalité de son corps qui s’ourle avec langueur au rythme progressif de la mélodie du Boléro de Ravel. Au pied de la table, assis sur des chaises en bois, une vingtaine de danseurs au torse nu se redressent et s’animent, comme hypnotisés par le balancement des hanches de l’interprète et ses mouvements de bras et jambes qui se cabrent. Amandine Albisson, d’une beauté de sirène, accomplit ce rite avec une galvanisante sensualité, qui gagne sans réserve le public.
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