L'Orchestre Symphonique de Mulhouse présente à distance cette année une partie de sa saison 2020-2021 adaptée aux contraintes sanitaires. Ainsi a-t-il enregistré début mars une vidéo dont la diffusion pour tous publics est programmée ce 16 avril. La presse invitée dans les locaux de la Filature lors de la captation du concert et, plus tard, à un visionnage de l'enregistrement, peut rendre compte de ce concert du double point de vue de la présence en salle mais aussi du résultat filmé offert aux internautes mélomanes. Prestation dédiée, en particulier, comme chaque année à pareille époque, aux aînés de la ville.
Prennent place devant l'orchestre Jean-Philippe Collard au piano et Marie Jacquot, jeune cheffe française dont la carrière outre-Rhin mérite toute notre attention (elle est notamment depuis 2019 Première Kapellmeisterin au Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf et Duisbourg). La violoniste Marina Chiche, délaissant cette fois son Gagliano, invite le public à la suivre des coulisses à la scène, occasion pour elle de proposer une mise en perspective, concise et instructive, des pièces programmées.
L'attaque de l'ouverture de Coriolan sonne de manière dense et nerveuse. Entre le thème introductif conservant ce caractère et le decrescendo des cordes conduisant au second thème plein de tendresse, la transition est particulièrement réussie. Les deux thèmes qui alternent jusqu'à la conclusion du morceau offrent un magnifique jeu d'enchaînements et de nuances cohérent et souple. Le pianissimo et d'ultimes pizzicati impriment à la fin d'inspiration élégiaque un profond sentiment d'abandon au destin, mais aussi d'apaisement. La sonorité et l'expressivité des violoncelles sont particulièrement prenantes.
L'introduction du Concerto pour piano n° 2 de Rachmaninov sous les doigts de Jean-Philippe Collard d'abord, puis à l'orchestre dix mesures plus loin, offre d'emblée une couleur chaude, un dynamisme éloquent sur le fond d'un crescendo conduisant rapidement mais parfaitement du pianissimo au fortissimo. L'enregistrement mis en ligne pâtit cependant quelques fois de l'acoustique du lieu. Pour qui est présent dans la salle, la caisse de résonance que constitue la scène de La Filature où se situe l'orchestre fait perdre une bonne part de son relief à la sonorité du piano placé dans l'espace ouvert de l'avant-scène. Corrigeant techniquement cet effet, l'enregistrement tend à inverser le problème : il réduit la puissance de l'accompagnement, diminuant sa consistance et altérant ses timbres. La difficulté acoustique se résorbe toutefois sensiblement au fil de la captation, grâce également aux équilibres savamment travaillés par la direction de Marie Jacquot. Ce qui est heureux car les dialogues entre pupitres et avec le piano, tout comme les tuttis, laissent apparaître expressivité et mise en place minutieuse.
L'interprétation de Jean-Philippe Collard est d'une rigueur constante, d'une grande clarté au risque même de paraître un peu désincarnée. Les nuances soignées, le tempo sont sans effets trop démonstratifs, à égale distance en quelque sorte de l'enthousiasme et de la concentration. Une belle place, tout en fluidité, est accordée aux passages les plus mélodiques. Subtile composition alors que la partition de Rachmaninov ne prescrit rien de spécifique au pianiste en matière d'expressivité.
Le deuxième mouvement ne déroge pas à cette ligne. Son caractère « Andante sostenuto » et le niveau souvent contenu entre piano et pianissimo conduisent à un équilibre séduisant entre le soliste et les masses orchestrales, cordes et vents chacun pour leur part. Leur ton est empreint de ferveur méditative. Jean-Philippe Collard mène le mouvement à son acmé par une cadence virtuose. Vive et généreuse, Marie Jacquot donne à l'orchestre une réelle assurance dans l'attaque du dernier mouvement. L'élan qui y est imprimé sera maintenu jusqu'au majestueux finale, soliste et instrumentistes en consonance dans cet « Allegro » tout à fait scherzando.
Deux thèmes contrastés, l'un galant et l'autre martial, jalonnent le premier mouvement de l'ultime symphonie de Mozart, « Jupiter ». Leur alternance, les transitions, les heurts répétés entre eux, tourbillon de sentiments contraires, sont abordés à la fois avec brio et tact. Qualités dont la formation mulhousienne sait faire preuve tout au long de la soirée. Succédant à une superbe conclusion de ce premier mouvement dont Marie Jacquot salue la dernière mesure de son geste habituel, bras levés au ciel, l'« Andante cantabile » nous immerge dans une sombre méditation. Chaque pupitre semble y apporter, par son expressivité, une profonde pensée. Le « Menuetto » exécuté non sans charme, bien que composé de manière plus symphonique que dansante, assure une heureuse transition vers le finale. La fugue contrapuntique de cet ultime mouvement est enlevée dans une franche allégresse avec des cuivres et des timbales très présents mais bien fondus dans l'ensemble. Conclusion pleine de l'espérance joyeuse d'un retour de la musique vivante devant son public en salle.