170 ans après la création de l’œuvre de Verdi au Teatro La Fenice de Venise, La Traviata reste toujours un incontournable du répertoire, pour le public comme pour les chanteurs. Donnée la dernière fois en 2018 au Théâtre du Capitole dans une mise en scène excellente du regretté Pierre Rambert, cette coproduction toulouso-bordelaise est reprise pour cette saison 2022-23 avec une distribution entièrement renouvelée.
La première du chef italien Michele Spotti au Capitole amène une direction enthousiaste de l’orchestre et accorde une vraie liberté aux chanteurs. Le son de l’orchestre est parfaitement rodé, à l’image des cordes dans les préludes des actes I et III : les lignes mélodiques sont soignées et rondes, tissant un son de pupitre d'une homogénéité parfaite. Il subsistera cependant toujours un léger problème de réglage à l’acte I où l’orchestre aura tendance à couvrir certains chanteurs. Dans la même ligne, le chœur est bien réglé et se fait plaisir sur de grands classiques du répertoire lyrique. Même interrogation toutefois, en particulier pour les voix d’hommes : le Libiamo ne’ lieti calici ou encore le Di Madride noi siam mattadori sont très virils voire trop forts, même si cela suit bien l’orchestre et la narration. L’ONCT reviendra volontiers à une couleur et des nuances plus subtiles dans le finale.
La dynamique de cette production réside sans doute dans la forte complicité des deux rôles principaux. Après le retrait de Rosa Feola, c’est Zuzana Marková qui prend finalement le rôle de Violetta et débute sur les planches toulousaines. Elle est secondée par Amitai Pati en Alfredo Germont. On sent ici une mise au point qui va au-delà du travail individuel, avec une gestuelle et des expressions faciales soignées, parfaitement synchrones et dynamiques. Amitai Pati donne au versant naïf de son personnage une voix claire, sans fioritures, mais de plus en plus touchante au fur et à mesure que la passion l’emporte. Zuzana Marková est impériale d’entrée, imposant sa puissance et son habileté vocale pour mieux laisser place à la petite Violetta accablée de l’acte II, mais qui maîtrise sans difficulté le moindre saut d’intervalle et conserve une diction impeccable même dans les sanglots. S’il fallait trouver un défaut, ce serait peut-être les respirations trop marquées qui ponctuent le chant de Zuzana Marková et un premier acte un peu couvert pour Amitai Pati. Toutefois, la suite vient largement démontrer l’étendue de leur palette vocale, la soprano passant sans difficulté aux pianissimos étouffés alors qu’elle est par exemple confrontée à l’autorité de Jean-François Lapointe en Germont père à l’acte II.
Celui-ci fait rayonner sa voix de baryton avec force, puis y insère petit à petit des émotions plus fines au fur et à mesure qu’il est touché par l’attitude de Violetta, suivant parfaitement la complexité de la partition. Victoire Bunel en Flora intervient peu mais suffisamment pour exposer une ornementation complexe, bien que parfois masquée par la fosse. Les autres seconds rôles interviennent tous avec constance, pour mieux faire contraste avec le duo et l’évolution des affects. Mais ce sont sans doute les danseurs François Auger et Natasha Henry qui rendent le plus fervent hommage à Pierre Rambert avec leurs apparitions d’abord en pointillés, comme leurs costumes-miroirs de vanités, puis en livrant une véritable performance physique et expressive lors de l'acte II.
Le camélia géant en épanadiplose fait toujours son petit effet auprès du public, même si la référence reste « grosse » dans tous les sens du terme et masque les petits rappels plus subtils à l’œuvre de Dumas disséminés dans le reste des décors tout au long de la pièce. De même, les tableaux resplendissants des grands salons parisiens et de la maison de campagne de l’acte II amènent de grands élans onomatopesques. Comme pour Tristan le mois dernier, on ne change pas une équipe qui gagne du côté de la mise en scène, tandis que la distribution entièrement nouvelle réussit à reprendre le témoin avec brio !